Thématique


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Dans l’espace francophone, l’avènement des sciences didactiques qui apparait au tournant des années 70-80, est caractérisé par la prise en charge du caractère déterminant de la spécificité des objets de savoirs dans les pratiques d’enseignement-apprentissage. Ce mouvement s’est inscrit d’emblée dans le paysage des découpages disciplinaires des savoirs scolaires. Une caractéristique essentielle des approches didactiques de l’enseignement-apprentissage à l’école est de problématiser les rapports complexes qu’entretiennent les disciplines scolaires avec les disciplines et/ou domaines de savoirs de référence sous l’angle des processus institutionnels de transposition, ou encore des configurations disciplinaires scolaires1. La relation des didacticiens aux disciplines académiques et/ou scolaires est un marqueur identitaire de ce développement, qui contribue à légitimer les objets d’étude des didactiques, mais aussi leur pertinence dans la formation des enseignants.

Historiquement, la structuration des disciplines académiques a permis une accélération majeure dans la construction des savoirs sur le monde, dont la maîtrise demande une acculturation à des modes de pensée, discours et formes d’action au-delà des besoins du fonctionnement du quotidien, voire en rupture avec ce fonctionnement. Corollairement, la mise en place des politiques d’instruction publique obligatoire dans les pays occidentaux a vu l’émergence de la disciplinarisation des savoirs à enseigner dans les écoles, émergence qui se manifeste notamment par l’élaboration d’outils didactiques spécifiques tels que les manuels scolaires, mais aussi par les structures de formation des enseignants2. Dans les pays francophones (et d’Europe centrale), la structuration des savoirs en termes de disciplines scolaires dont les contours s'affinent progressivement au fil de la scolarité, domine les programmes, les manières d’enseigner et les représentations du fonctionnement du monde scolaire en général. Les atouts des disciplines scolaires, comme mode d’accès à la conceptualisation et généralisation d’outils de pensée, comme gage d’efficacité dans la gestion de la progression des apprentissages, mais aussi comme moyen de se prémunir contre les dérives idéologiques du façonnement des comportements et des opinions, sont souvent rappelés face aux injonctions à « l’interdisciplinarité » ou aux pédagogies dites « alternatives » faisant la part belle à certaines conceptions de l’autonomie de l’enfant.

Cependant, du côté des systèmes éducatifs, on constate différentes évolutions qui tendent à (re)questionner la structuration disciplinaire des savoirs à l’école. Ces évolutions se manifestent le plus souvent par un changement de « code des savoirs scolaires »3, c’est à dire le passage du « code sériel » (à forte compartimentation entre les matières, les disciplines ou les unités d'enseignement) au « code intégré », qui présente une plus forte porosité entre les disciplines. Parmi ces évolutions, on peut citer notamment :

- l’intégration d’objets d’enseignement à la croisée de différentes disciplines tels que la démarche d’investigation pour les disciplines scientifiques, la pensée critique dans les disciplines des sciences sociales, le traitement de « questions complexes » et les techniques d’argumentation dans des disciplines aussi différentes que les sciences, la littérature, l’histoire, la philosophie ou encore la créativité censée traverser presque toutes les disciplines, au-delà des disciplines artistiques et techniques ;

- la mise en valeur d’objets génériques liés aux relations humaines ou « capacités transversales », qui s’expriment parfois en termes de « soft skills » dans le monde du travail, tels que la collaboration, la communication, l’autonomie, le jugement et la prise de décision, etc. ;

- l’émergence de domaines multi-référencés, à la croisée de plusieurs disciplines scolaires tels que les « éducations » au développement durable, à la santé, à la citoyenneté, aux médias, à la diversité, l'éducation artistique et culturelle, etc. ;

- l’apparition de modes de communication soutenus par des technologies numériques, tels que les textes composites, les échanges sur forums, capsules audio/vidéos, etc. qui percolent dans toutes les disciplines scolaires ;

- le développement d’espaces de médiation des savoirs faisant l’objet de partenariats entre l’école et des acteurs de la société civile (musées, associations, organisations scientifiques, etc.).

Du point de vue des systèmes éducatifs, ces évolutions sont censées induire une acculturation « plus directe » des élèves aux préoccupations qui traversent la société. En filigrane, il y a l’idée que ces nouveaux besoins d’apprentissages ne semblent pas satisfaits par la maitrise des seuls savoirs disciplinaires. Pour les enseignants, ces évolutions apparaissent souvent en tension avec la définition des objets à enseigner structurés par des domaines disciplinaires, tensions qui se répercutent sur les attentes à l’égard de la formation des enseignants, et interrogent de facto les démarches et dispositifs didactiques qui y sont proposés.

De fait, différents domaines de savoir sont nécessairement mobilisés quand il s’agit de décrire et comprendre la plupart des phénomènes naturels et sociaux qui nous entourent. Du point de vue des apprenants, peut-on miser sur un transfert des connaissances sur le monde, cumulées dans les différentes disciplines scolaires pour traiter des questions complexes du monde, qui jalonneront leurs prises de décisions en tant que citoyens ? Si ce n’est pas le cas, quelle est alors la fonction de l’organisation disciplinaire des savoirs enseignés à l’école ? Quels sont les effets potentiels ou avérés d’un effacement de cette structuration au profit d’une plus grande porosité entre les disciplines ? Ces questions, qui existent en toile de fond de la construction des sciences didactiques depuis plusieurs décennies, prennent une importance nouvelle à la lumière des évolutions actuelles des curriculums.

Par ailleurs, du côté de la recherche en éducation, et de certaines recherches en didactique(s), des voix s’élèvent pour appeler à un « changement de paradigme », à de « nouvelles formes scolaires » qui (ré)interrogent plus ou moins explicitement la logique disciplinaire d’exposition des savoirs scolaires, pour faire valoir des démarches d’enquête et de mise à l’étude dans le cadre d’un « vrai » questionnement du monde. A travers ces appels au changement, on perçoit qu’il ne s’agit plus seulement de se questionner sur les savoirs nécessaires aux futurs citoyens, et sur les conditions optimales de leur apprentissage par le plus grand nombre, mais encore de spécifier ce second point en réinterrogeant les conditions suivant lesquelles ces savoirs devraient être rencontrés afin que leurs domaines de pertinence fassent partie intégrante de l’apprentissage.

Il semble donc important de sortir des positionnements traditionnels en termes de « pour » ou « contre » l’organisation « disciplinaire » versus « interdisciplinaire » des savoirs scolaires, afin d’interroger les zones de pertinence de différents modèles d’organisation des savoirs dans les curriculums. Cette interrogation convoque à la fois les nécessités épistémologiques de la transmission ou (re)construction des savoirs en jeu, mais aussi les contraintes et les possibles qui pèsent sur les interactions entre les acteurs et les objets dans les systèmes didactiques.

 


1 En référence à la thématique du 5ème Colloque international de l’ARCD, « Apports réciproques entre didactique(s) des disciplines et recherches comparatistes en didactique », qui s’est tenu à l’université de Bordeaux, en 2018.

2 Hofstetter, R. & Schneuwly, B. (2014). « Disciplinarisation et disciplination consubstantiellement liées. Deux exemples prototypiques sous la loupe : les sciences de l'éducation et les didactiques des disciplines ». In : Engler, B. (éd.), Disziplin - Discipline. Fribourg: Academic Press, p. 27-46.

3 Au sens de Forquin, J.-C. (1991). Savoirs scolaires, contraintes didactiques et enjeux sociaux. Sociologie et sociétés, 23(1), 25‑39. https://doi.org/10.7202/001246ar

 

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