Communications par auteur.e > Buznic-Bourgeacq Pablo

S1 : Les SVT savoureuses ou comment penser un curriculum disciplinaire du point de vue des élèves et des enseignants?
Faouzia Kalali  1, 2@  , Pablo Buznic-Bourgeacq  1, 2@  
1 : CIRNEF
Université Rouen Normandie
2 : CIRNEF
Université Rouen Normandie

Si l'on s'intéresse aux disciplines, c'est pour comprendre leurs structures, leurs fondements, leurs modalités d'organisation et de changement dans leurs dimensions de curriculum prescrit, et de ce que l'on peut appeler curriculum savouré.

On s'intéresse donc aux changements, aux reconfigurations et aux reconstructions des disciplines, du point de vue des sujets didactiques (élèves et enseignants). Car nous sommes certains que l'actualisation des disciplines que font les sujets didactiques et la conscience disciplinaire qui en résulte, s'appuient autant sur des caractères intrinsèques, ou ce que Develay a appelé matrice disciplinaire (1992), que sur des caractères extrinsèques qui s'enracinent dans l'activité mentale des sujets, le sens et l'investissement en émotion et en valeur qu'ils placent dans le monde et les objets qui le composent (Reuter, 2004). Autrement dit, porter un regard sur la discipline (ici les SVT) permet d'articuler des finalités éducatives, des objets de savoir, des pratiques d'enseignement ; mais non sans l'image reconstruite à travers des interactions avec des savoirs, des sujets, des espaces extrascolaires... (Reuter, 2004). Si l'actualisation de la discipline par les sujets didactiques demeure le point aveugle de l'institution, elle n'est pas suffisamment prise en compte par les chercheurs pourtant sensibles au désengagement vis-à-vis des disciplines scolaires. L'enjeu dans cette communication est de discuter autrement la discipline scolaire dans ses dimensions épistémologique et culturelle (Kalali, 2023), et également anthropologique et clinique (Buznic-Bourgeacq, 2020, 2021), visant justement à circonscrire les objets des disciplines scolaires dans des perspectives de curriculum savouré : en tant qu'espaces spatio-temporels vécus permettant d'identifier les manières de les vivre ainsi que les effets émotionnels que produisaient leurs fonctionnements » (Reuter, 2016, p. 26-27).

En partant de quelques savoirs savourés en SVT dégagés auprès des élèves et des enseignants, la question posée est celle de chercher ce que nous apprend le curriculum savouré sur la structure épistémologique et anthropologique de la discipline interpelée de SVT. Comment alors les curriculums peuvent ils bien s'emparer de ces objets inscrits dans des expériences subjectives intenses ? Ce qui questionne également les limites de la transposition didactique. La conscience disciplinaire de Reuter ou la question de la référence de Martinand interrogent d'un point de vue didactique la complexité de cette transposition. Notre approche du point de vue du curriculum savouré s'inscrit dans la continuité de ces travaux. Notre perspective vise à réinscrire les épistémologies des domaines de savoir dans leurs structures anthropologiques et historico-culturelles.

Nous partons de l'expérience fondatrice, cette rencontre qui allie aventure singulière et entreprise culturelle, dans une discipline scientifique les SVT. Ces éléments marquants d'un vécu disciplinaire (Reuter, 2016) rejoignent la dimension d'épreuve au sens de Terrisse : une validité interne pour le sujet dans la pratique maîtrisée d'une activité et une validité externe, fondée sur sa valeur, son utilité sociale et culturelle. La dialectisation de ce qui relève de l'internalité et de l'externalité de la validité du savoir, permet ainsi de tenir la dimension anthropologique qui légitime les œuvres et la singularité de la constitution du sujet par leur intermédiaire. Elle concentre les ingrédients de l'expérience subjective et sociale, existentielle et initiatique d'un sujet ayant rencontré une discipline (Buznic-Bourgeacq, 2021). Nous examinerons ces traits saillants chez des élèves en scolarité obligatoire ayant moins de 15 ans, et chez deux jeunes professeurs de SVT passionnés par la discipline, l'un par la géologie, l'autre par la biologie. « Entrer en discipline » selon Astolfi (2008) relève d'un processus lent, où le savoir n'acquiert sa saveur qu'après coup, à partir de « rencontres déterminantes avec le savoir », « des instants où tout à coup quelque chose bascule dans notre tête, où une certaine image des choses se brise, où une révélation s'opère, où un livre nous échappe des mains » (p. 7). Pour les premiers, les élèves, nous montrerons que la convergence entre des savoirs importants véhiculés par les SVT et des questions utiles qu'ils se posent sur le monde, la sexualité, la santé... n'est ni immédiate ni évidente. La convergence est probable quand on traite de la reproduction ; elle est possible quand on parle de calories, de vitamines, de protéines, liées à des questions de santé et de bien-être ; elle reste possible, mais est déjà plus lointaine quand il s'agit de botanique (Kalali, 2019). Pour les seconds, les deux enseignants passionnés, nous montrerons comment leurs pratiques didactiques quotidiennes prennent source dans leurs premières « expériences disciplinaires », plus familiales que scolaires, et permettent ainsi de reconstruire des « objets passionnants » de la discipline SVT qui échappent peut-être aux curriculum prescrits. Les sujets auprès desquels nous avons enquêté, nous ont fait notamment réfléchi sur la place des « belles histoires naturelles », une expérience de sensibilité littéraire, et narrative des SVT portée par certains domaines de la biologie.

Nous montrerons que la dynamique épistémologique s'enracine d'abord dans un fondement anthropologique. Il s'agit d'envisager les domaines de savoir comme des œuvres produites dans des groupes humains et inversement de considérer que le monde n'est pas un tout uniforme, que des normes, des praxéologies, des manières de voir..., se sont sédimentées dans les œuvres humaines. L'enjeu est alors de « faire apparaitre (...) les raisons d'être qui motivent ces œuvres » (Chevallard, 2006, p. 82). Ces « raisons d'être » émaillent, tout comme les obstacles épistémologiques, l'histoire et l'épistémologie des œuvres médiées à l'école à travers les savoirs disciplinaires. 

 

Références

Astolfi, J.-P. (2008). La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d'apprendre, Paris, Presses universitaires de France.

Buznic-Bourgeacq, P. (2020). Prendre en compte le sujet. Enjeux épistémologiques et défis méthodologiques pour les sciences humaines. Nîmes : Champ social éditions.

Buznic-Bourgeacq, P. (2021). Le domaine du sujet : dévoluer sa propre épreuve, In Buznic-Bourgeacq, P. (dir.), Sujets et objets de la dévolution. Une institution de l'autonomie, (p. 15-32). Londres : ISTE

Develay, M. (1992). De l'apprentissage à l'enseignement. Paris : ESF édition

Chevallard, Y. (2006). L'homme est un animal didactique, In Salin, M.-H., Clanché, P., Sarrazy, B. (éds.), Sur la théorie des situations didactiques (pp. 81-90). Grenoble : La Pensée Sauvage.

Kalali, F. (2019). Important but not for me as a girl: French students' attitudes towards secondary school science, Review of science, mathematics and ICT Education, 13(2), 61-79.

Kalali, F. (2022). Perspectives curriculaires en éducation scientifique. PUR. COL. Paideia

Martinand, J.-L. (1986). Connaître et transformer la matière, Paris-Berne, Peter Lang.

Reuter, Y. (2004). Analyser la discipline : quelques propositions. la lettre de l'AIRDF, n° 35, pp. 5-12.  

Reuter, Y. (2016). Vivre les disciplines scolaires. Paris : ESF.


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