Communications par auteur.e > Brunel Magali

Quelles relations entre les compétences lectorales des élèves et les pratiques de leurs enseignants ?
Jean-Louis Dufays  1@  , Magali Brunel  2@  
1 : UCLouvain
2 : Université Côte d'Azur
Université Côte d'Azur

Cette intervention, qui s'inscrit dans l'axe 3 du colloque et dans la suite de celle de Judith Emery-Bruneau et de Sonya Florey, présentera le troisième volet de la « recherche Gary » qui a été menée de 2015 à 2022 par une équipe de recherche internationale (France, Belgique, Suisse, Québec – cf. Brunel et al., à paraitre). Pour rappel, la première intervention aura présenté les principaux résultats du projet en ce qui concerne l'analyse de la progression des apprentissages des élèves en lecture d'un texte littéraire aux différents niveaux de la scolarité obligatoire (plus précisément aux niveaux 4, 7 et 10, qui correspondent aux élèves de 9, 12 et 15 ans) et des pratiques de leurs enseignants à ce sujet. Après avoir ainsi déplié les compétences des élèves et les pratiques de leurs enseignants, nous nous interrogeons ici, à l'instar de ce qu'a fait Goigoux dans le cadre de la recherche « Lire-écrire au CP » (2016), sur les relations qu'il nous a été possible d'établir entre ces compétences et ces pratiques.

Si la progression au fil des années des performances de lecture des élèves que nous avons dégagée est conforme au développement cognitif des élèves, nous nous sommes demandé si l'on pouvait observer des liens statistiques entre ces performances et certains aspects des pratiques enseignantes que nous avons étudiés.

Pour ce faire, nous avons procédé en deux étapes en fixant la classe comme l'unité statistique étudiée. Nous avons d'abord confronté les scores moyens des classes dans les opérations de lecture aux pratiques des enseignants concernant ces mêmes opérations aux trois niveaux de la scolarité. Ensuite, nous avons focalisé notre attention sur les classes qui présentent les performances les plus et les moins élevées en compréhension et en interprétation valide, et nous avons examiné dans quelle mesure celles-ci sont le lieu de choix didactiques spécifiques de la part des enseignants.

Comme dans l'exposé de nos autres résultats, nous nous limitons à pointer les résultats statistiquement significatifs, lesquels, néanmoins, compte tenu de la taille de notre échantillon ne peuvent être considérés que comme des tendances. Pour cette raison, vu la minceur des effectifs concernés dans les résultats québécois, ils ne font pas partie de cette analyse. Celle-ci porte donc sur les échantillons français (24 classes, 8 par niveau), belge (idem) et suisse (16 classes réparties entre les niveaux 7 et 10) de notre collecte de données.

Soulignons par ailleurs que, lorsque des corrélations significatives apparaissent, il n'est pas question de les assimiler d'emblée à une relation causale puisque nos données relatives aux pratiques enseignantes ont été recueillies après nos données relatives aux performances des élèves. Les corrélations permettent plutôt de formuler deux hypothèses non exclusives : 1° certains enseignants pourraient adapter leurs enseignements au profil de compétences de leurs élèves (qu'ils ont déjà pu objectiver ou qu'ils perçoivent intuitivement en convoquant le profil d'un « archi-élève » – cf. Bromme, 2005 ; Ronveaux, 2014) ; 2° certaines performances d'élèves pourraient témoigner d'habitus qui seraient liés aux pratiques ordinaires de leurs enseignants et relever alors d'un « effet maitre ». Ces deux explications pourraient très bien fonctionner simultanément, ce qui signifierait qu'il y aurait une influence mutuelle entre les pratiques enseignantes et les performances des élèves : simultanément les enseignants adapteraient leurs pratiques aux profils de leurs élèves et les élèves progresseraient sous l'influence des pratiques enseignantes.

Cela étant, cette mise en relation des résultats issus de nos données « enseignement » avec ceux qui émanent de nos données « élèves » fait bien apparaitre des corrélations significatives entre ces deux ensembles de données. En particulier, elle permet de mettre en évidence des écarts significatifs entre les pratiques des enseignants selon qu'ils s‘adressent à des classes aux résultats plus faibles ou plus forts.

Insistons à ce propos sur nos conclusions relatives aux modes de lecture enseignés : la compréhension est travaillée en priorité avec les élèves les plus faibles, soit parce que les enseignants la jugent préalable à l'enseignement de l'interprétation, soit parce qu'ils considèrent qu'il est légitime de lui accorder plus de temps qu'aux autres opérations de lecture, soit encore parce que le travail sur la compréhension leur parait plus aisé à piloter. Ces résultats vont dans le même sens que la recherche de Pellerin et Émery-Bruneau (2022) menée sur les pratiques d'enseignement déclarées en compréhension et en interprétation d'enseignants québécois des niveaux 7 et 8. Avec les faibles interprètes, les enseignants travaillent beaucoup moins l'interprétation dont ces élèves auraient pourtant peut-être davantage besoin que les autres ; en revanche, l'interprétation est surtout travaillée avec les élèves qui la pratiquent déjà. Les enseignants des classes les moins performantes mobilisent également moins les apports culturels. Ces derniers constats peuvent être mis en relation avec des travaux de recherche qui portaient sur l'importance des connaissances culturelles dans l'appréhension des textes littéraires (Falardeau et Simard, 2010) ou qui pointaient que les enseignants, face à des élèves en difficulté, proposaient essentiellement des activités de compréhension littérale de textes faciles d'accès et comportant peu d'« ambitions culturelles » (Goigoux, 2006).

Ces résultats peuvent ainsi nourrir la réflexion en ce qui concerne la formation des enseignants. Ne conviendrait-il pas de s'interroger plus profondément sur la place qu'y occupent actuellement – et que devrait peut-être y occuper davantage à l'avenir – l'interprétation et l'appréciation dans leurs enseignements ? Et sur la part à accorder à la dimension culturelle dans la formation littéraire des élèves ?

Références bibliographiques 

Bromme, R. (2005). « The “collective student” as the cognitive reference point of teachers' thinking about their students in the classroom ». Dans P. M. Denicolo & M. Kompf (dir.), Teacher thinking and professional action. Londres : Routledge, p. 31-40.

BRUNEL, M., DUFAYS, J.-L., BARTHELEMY, M. & FONTANIEU, V. (à paraitre). Compétences de lecture des élèves et pratiques enseignantes au fil de la scolarité en Belgique et en France : quelle progression, quelles spécificités ? Dans B. Louichon (dir.), Comparaison en didactique des littératures. Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux.

Falardeau, É. & Simard, D. (2010). Quelle articulation langue-littérature pour quels rapports à la culture ? Colloque Enseigner la littérature dans le souci de la langue. Genève, 25-27 mars 2010. En ligne : www.unige.ch/litteratures2010/contributions_files/Falardeau%20Simard%202010.pdf.

Goigoux, R. (2006). Apprentissage et enseignement de la lecture auprès d'élèves en grande difficulté. Dans Centre Alain Savary (dir.), Apprendre et enseigner en « milieux difficiles ». Lyon : INRP, p. 85-94. En ligne : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/documents/publications/xyzep/les-dossiers-d-xyzep/archives-1/2000-2001/dossier_10_pro.pdf

Goigoux, R. (dir.) (2016). Lire et écrire. Rapport de recherche. Étude de l'influence des pratiques d'enseignement de la lecture et de l'écriture sur la qualité des premiers apprentissages. Lyon : IFÉ. En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-e... .

Hébert, M. (2013). Lire, commenter, discuter un même roman au primaire et au secondaire. Quelles différences ? Revue des sciences de l'éducation, 39 (1), p. 119-146.

Louichon, B. (dir.) (2020). Un texte dans la classe. Bruxelles : Peter Lang.

PELLERIN, M. et ÉMERY-BRUNEAU, J. (2022 - sous presse). Interpréter un texte littéraire au 1er cycle du secondaire : conceptions et pratiques déclarées d'enseignantes. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation

Ronveaux, C. (2014). L'archi-élève lecteur en progression entre tâche, activité et performance de lecture. Dans B. Daunay & J.-L. Dufays (dir.), Didactique du français : du côté des élèves. Comprendre les discours et les pratiques des apprenants (p. 123-138). Bruxelles : De Boeck.

Ronveaux, C. & Schneuwly, B. (dir.) (2018). Lire des textes réputés littéraires : disciplination et sédimentation. Enquête au fil des degrés scolaires en Suisse romande. Bruxelles : Peter Lang.



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