Communications par auteur.e > Küttel Anja

Des objets trifaces pour construire des significations partagées dans le cadre d'une communauté discursive de pratiques professionnelles pour une éducation technique et de design responsables
Patrick Roy  1, 2@  , Delphine Schumacher  1, 2@  , Anja Küttel  1, 2@  
1 : UR Enseignement et apprentissage des disciplines scientifiques
2 : Haute école pédagogique Fribourg

Dans le cadre d'un projet financé par swissuniversities en Suisse romande, une Communauté Discursive de Pratiques Professionnelles (CDPP) fonctionnant selon le mode d'une ingénierie didactique coopérative a été mise en place afin d'engager un collectif d'acteur·rices (chercheur·es didacticien·nes, ingénieur·es, collaborateur·rices scientifiques et pédagogiques et enseignant·es des disciplines MINT et des sciences humaines et sociales de l'école obligatoire) dans le traitement de problèmes d'enseignement-apprentissage sur un thème à portée interdisciplinaire : l'écoquartier.. La mise en œuvre de la CDPP appelle les acteur·rices à coconstruire des « savoirs de métier » (Brière & Simonet, 2021) sur le processus de conception dans une perspective interdisciplinaire et d'éducation technique et de design responsables (Zaid, 2017). Ces savoirs des métier peuvent aider in fine les enseignant·es à concevoir, conduire, analyser et adapter des séquences d'enseignement porteuses en termes de développement de pratiques épistémiques d'ingénierie (Cunningham & Kelly, 2017) chez les élèves. En tant que complexes de pratiques (praxis) et de langages (logos), ils prennent la forme de praxéologies et confèrent aux enseignant·es une puissance d'agir en situation(s) (Grosjean, 2011). Leur construction n'est possible que par un rapprochement des pratiques et des langages des acteur·rices, et résulte d'un tissage entre les savoirs des un·es et des autres. Pour ce faire, nous recourons à l'« objet triface » (Roy et al., 2021), un objet frontière particulier qui favorise la mise en relation entre des pratiques sociotechniques de référence des concepteur·rices (face sociale de la culture technique), des concepts/processus didactiques (face théorique de la culture académique) et des situations de classe (face pratique de la culture scolaire). Nous faisons l'hypothèse que ces objets qui agissent comme outils langagiers de pilotage dans les différentes phases de mise en œuvre itératives de la CDPP constituent de puissants outils de problématisation de la pratique du fait qu'ils permettent de « dévoiler et de transformer les conceptions qui sous-tendent la pratique et qui pèsent sur la nature des savoirs à enseigner et des savoirs pour enseigner que mobilisent les enseignant·es » (Prével, 2018, p. 102), et qu'en conséquence, ils favorisent l'évolution des « schèmes » (Pastré et al., 2006) des acteur·rices au regard d'une éducation technique authentique. Au sein de la CDPP, des outils culturels faisant office d'objets trifaces sont coconstruits par les acteur·rices. En particulier, la matrice interdisciplinaire (Gremaud & Roy, 2017) est introduite pour soutenir le travail de problématisation du thème de l'écoquartier en circonscrivant un ensemble de savoirs à enseigner et de savoirs pour enseigner et des questions fécondes relatives aux différentes disciplines scolaires contributives.

Cette contribution s'inscrit dans l'axe 2 du colloque et vise à répondre aux deux questions suivantes :

1) En quoi les objets trifaces contribuent à la problématisation de la pratique, en appui sur les objets d'enseignement-apprentissage en lien avec le processus de conception dans une perspective interdisciplinaire et d'éducation technique et de design et responsables ?

2) Comment se construisent les points de vue partagés (processus de sémiose) autour de cette éducation entre les différents acteur·rices, et selon quel partage de responsabilité ?

Le cadre conceptuel utilisé pour répondre à ces des deux questions articule : (1) une conception du développement professionnel par la problématisation de la pratique au regard des savoirs de métier (Prével, 2018) tout en mobilisant le concept de schème (Pastré et al., 2006) avec (2) une approche énonciative et interactionniste du langage selon une conception historico-culturelle de la transmission (Jaubert et al., 2012). En particulier, nous considérons que la CDPP engage les acteur·rices dans une activité collective de schématisation des objets de discours prenant les caractéristiques suivantes (Miéville, 2014) : 1) de nature dialogique, cette activité consiste à faire entrer mutuellement les acteur·rices dans un « micro-univers discursif », celui d'une éducation technique authentique, de manière qu'un nouveau monde puisse être reconstruit au sein de la classe ; 2) à portée épistémique, cette activité vise une coconstruction de savoirs de métier par le modelage mutuel d'un monde commun au moyen d'une action conjuguée ; 3) à finalité déterminée, cette activité a pour objectif de faire voir ou faire comprendre à autrui certains aspects d'une réalité que l'on conçoit ou imagine ; 4) à dimension délibérative, cette activité implique la confrontation de représentations et de points de vue où il s'agit de débattre de ses préoccupations et de se positionner quant aux savoirs qu'il est possible d'apporter au collectif ; 5) génératrice d'un triple mouvement constitutif : la construction d'une schématisation d'une éducation technique authentique (FAIRE), l'action que cette schématisation vise à promouvoir entre les acteur·rices au sein de la CDPP (RECONSTRUIRE), pour finalement viser à faire agir, par un déploiement des pratiques d'enseignement-apprentissage au sein de la classe (FAIRE FAIRE) ; 6) constitutive d'opérations logico-discursives, cette activité permet de faire émerger et de faire fonctionner des opérations (ou modes) de pensée en lien avec des objets de savoir dans ce domaine de connaissance spécifique.

Sur le plan méthodologique, il s'agit de montrer comment s'opère la schématisation (élaboration et tissage) des objets de discours en lien avec le processus de conception dans une perspective interdisciplinaire et d'éducation technique et de design et responsables entre les différent·e·s acteur·rices au cours de la mise en œuvre de la CDPP. Pour ce faire, nous réalisons une analyse des pratiques langagières issues des transcriptions des focus groups et des entretiens d'autoconfrontation croisée. Cette analyse consiste à identifier les objets de discours introduits et mobilisés par les acteur·rices et à les coder selon les faces (sociale, théorique ou pratique) relatives à leurs objets trifaces de référence. Il s'agit aussi de caractériser la nature du langage (langage de sens commun, hybride ou spécialisé) véhiculé dans la description de ces objets de discours afin de voir si au fur et à mesure de l'avancée de la CDPP il y a une évolution des « positionnements énonciatifs » (Jaubert et al., 2012) des acteur·rices en regard d'une éducation technique authentique.

Bibliographie

Brière, F., & Simonet, P. (2021). Développement professionnel et co-construction de savoirs de métier d'étudiants stagiaires dans l'activité conjointe avec le formateur-chercheur : Analyses didactique et clinique de l'activité d'autoconfrontation croisée. Éducation et didactique, 15‑1, 49‑76.

Cunningham, C. M., & Kelly, G. J. (2017). Epistemic practices of engineering for education. Science Education, 101(3), 486‑505.

Gremaud, B., & Roy, P. (2017). La matrice interdisciplinaire d'une question scientifique socialement vive comme outil d'analyse a priori dans le processus de problématisation. Formation et pratiques d'enseignement en questions, 22, 125‑141.

Grosjean, S. (2011). Actualisation et «mise en scène» de connaissances organisationnelles : Ethnographie des réunions de travail. Recherches qualitatives, 30(1), 33‑60.

Jaubert, M., Rebière, M., & Bernié, J. P. (2012). Communautés discursives disciplinaires scolaires et construction de savoirs : L'hypothèse énonciative. Forum lecture suisse. Littératie dans la recherche et la pratique.

Miéville, D. (2014). La logique naturelle, qu'est-ce, et pour qui, et pourquoi? TrajEthos, 3(1), 45‑57.

Pastré, P., Mayen, P., & Vergnaud, G. (2006). La didactique professionnelle. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, 154, 145‑198.

Prével, S. (2018). Problématiser la pratique enseignante pour mieux la comprendre : Études de cas en sports collectifs à l'école maternelle. Les Sciences de l'éducation pour l'Ère nouvelle, 51(3), 101‑123.

Roy, P., Gremaud, B., Jenny, S., Schaer, R., Masserey, B., Bourquin, V., & Bürgisser, B. (2021). L'objet triface pour construire un espace interprétatif partagé sur le processus de conception technique au sein d'une Communauté Discursive de Pratiques Professionnelles. Des recherches participatives dans les didactiques disciplinaires et autres domaines de connaissance. Quelles finalités? Quels savoirs? Et quelles stratégies méthodologiques pour favoriser leur circulation dans les milieux de la recherche, de la formation et de la pratique?, 124‑133.

Zaid, A. (2017). ‪Élaborer, transmettre et construire des contenus. Perspective didactique des dispositifs d'éducation et de formation en sciences et technologie‪ (Presses universitaires de Rennes). ENS Éditions.


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