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Les enseignant·es de physique-chimie face à l'égalité filles-garçons : pistes d'intégration grâce à une histoire des sciences sociale et culturelle
Air Benecchi  1@  
1 : Interactions, Corpus, Apprentissages, Représentations
École Normale Supérieure - Lyon

Dans cette communication, je présente le travail que effectué durant ma première année de thèse, commencée à l'automne 2021 sous la direction de Karine Bécu-Robinault (ICAR, ENS de Lyon) et Muriel Guedj (LIRDEF, Université de Montpellier).

A l'origine, mon projet de recherche doctorale portait sur la manière dont l'enseignement de physique-chimie aborde la question de l'égalité femmes-hommes. En effet, la promotion d'une culture de l'égalité est inscrite au Code de l'Education (article L121-1 : “[les lieux d'enseignement] contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes”) et le ministère a produit au fil des années une documentation importante pour aider les enseignant·es à s'emparer de cette problématique. Le site internet de ressources pédagogiques Canopé possède une rubrique intitulée “Outils égalité filles-garçons” dans laquelle on trouve des supports pour comprendre l'importance des inégalités de genre dans l'enseignement, leur impact sur la scolarité et l'orientation des élèves, ainsi que des propositions de mises en oeuvre pour intégrer l'égalité en classe. Ces propositions peuvent être transversales (“Repérer les inégalités dans les supports didactiques”) ou spécifiques à une discipline (“Intégrer l'égalité dans les enseignements du second degré en EPS”).

Cependant, les disciplines ne sont pas toutes représentées équitablement. Les dossiers sur l'enseignement secondaire portent sur l'EPS, l'histoire-géographie, les lettres, la philosophie, les arts plastiques et les SVT. La physique-chimie et les mathématiques sont notamment absentes, alors même que le ministère insiste fortement sur les disparités de genre dans les filières scientifiques — il s'agit d'un des points centraux de la convention interministérielle sur l'égalité. Cette différence de traitement entre les disciplines renvoie l'idée que les cours de physique-chimie ou de mathématiques ne sont pas des espaces propices pour intégrer l'égalité, ou alors seulement de manière transversale. Dans mon travail, j'explore au contraire l'idée d'utiliser les spécificités disciplinaires de la physique-chimie pour aborder les questions d'égalité. Quelles seraient les caractéristiques d'un tel enseignement ? Quelles sont les conditions d'apparition de ces caractéristiques ?

Parmi les différentes approches envisageables pour traiter ces questions, j'ai fait le choix de me concentrer sur le rôle que pourrait jouer l'histoire des sciences, et plus précisément une histoire sociale et culturelle des sciences. Emergeant dans les années 70, l'histoire sociale et culturelle des sciences est une approche de recherche qui vise à décrire des réseaux d'acteurs et de pratiques afin de saisir plus finement les processus de production et de circulation des savoirs scientifiques (Braunstein, 2008). Elle propose une alternative à une histoire des sciences préoccupée uniquement de l'interaction entre concepts théoriques et résultats expérimentaux, et contribue à mettre en valeur des aspects invisibilisés de l'activité scientifique, notamment des acteurs jugés auparavant secondaires. Parmi ces acteurs “revisibilisés”, les femmes et leurs contributions scientifiques en tant qu'épouse, sœur ou assistante occupent une place importante (Pestre, 2006). De cette manière, l'histoire sociale et culturelle des sciences rejoint les travaux de critique féministe mettant en évidence l'androcentrisme des sciences, c'est-à-dire la démarche qui place le point de vue des hommes comme référence neutre et objective de la pensée scientifique (Devreux, 2016). Compte tenu de mon questionnement de recherche, je fais l'hypothèse que l'introduction d'une histoire sociale et culturelle des sciences est une condition pour aborder les questions d'égalité filles-garçons d'une manière spécifique à la physique-chimie.

L'histoire des sciences a été associée à l'enseignement de physique-chimie depuis la création de ce dernier (Hulin, 1984). Si sa place et ses objectifs ont évolués au fil du temps, la manière dont elle est présentée actuellement par les instructions officielles et les manuels scolaires reste centrée autour des contributions de quelques grandes figures, présentées hors du contexte scientifique, culturel ou politique qui permettrait d'en saisir la portée (cette étude a fait l'objet de mon mémoire de master). Face aux programmes chargés, au caractère facultatif des contenus historiques et à l'absence de formation en histoire des sciences, la majorité des enseignant·es de physique-chimie du secondaire préfèrent consacrer leurs cours aux contenus strictement disciplinaires (Maurines & Beaufils, 2011). Ceci constitue un obstacle important à la mobilisation d'une histoire sociale et culturelle des sciences. C'est pourquoi, avant de faire des propositions pour contourner ou dépasser ces obstacles, il m'est apparu important de réaliser une étude visant à sonder les représentations d'enseignant·es du secondaire sur l'histoire des sciences en physique-chimie : quel type d'histoire des sciences sont-elles et ils en mesure de convoquer compte tenu des contraintes citées plus haut ? Avec quels objectifs ?

Pour répondre à ces questions, j'ai fait le choix de conduire cette étude à partir de focus groups (Kitzinger et al., 2004). Durant un focus group, je propose à un groupe d'enseignant-es (entre 3 et 5) de réagir sur des activités portant sur la question de la place de la Terre dans l'Univers et les controverses associées. J'ai conçu ces activités à l'aide de critères développés dans mon mémoire de master pour caractériser des contenus historiques, ainsi que d'une grille de polarité permettant de positionner une démarche historique entre deux positions extrêmes (Mathy, 1997). Ces outils m'ont permis d'élaborer des activités d'une grande variété de contenus et de fondements épistémologiques, tout en conservant une apparence familière pour les enseignant·es. Par exemple, une activité retrace l'apparition des concepts théoriques clés qui ont permis d'arriver au consensus sur le mouvement de la Terre, tandis qu'une autre propose de comparer la réception des travaux de Copernic et Galilée pour montrer l'importance du contexte politique sur l'acceptation d'une contribution scientifique.

Lors de la séance, j'invite les enseignant·es à évaluer les activités selon plusieurs critères, comme par exemple “se base sur une véritable démarche historique” ou “est utile pour les élèves”. La formulation volontairement vague laisse aux participant·es le soin de préciser leur interprétation des termes, tandis que l'évaluation les incite à comparer les activités entre elles et à justifier leur choix. Les conversations sont enregistrées (audio et vidéo) puis transcrites. A l'heure actuelle, j'ai pu mener deux focus groups tests, qui m'ont permis d'obtenir des premiers résultats et d'affiner les activité et la structure des séances. Quatre focus groups sont prévus prochainement, deux avec des enseignant·es de collège et deux avec des enseignant·es de lycées. L'analyse des transcriptions se basera sur la grille de polarité mentionnée plus haut afin de positionner les discours des enseignant·es. De plus, les critères utilisés dans la conception des activités me permettront de déterminer les aspects qui retiennent l'attention des enseignant·es, de manière positive ou négative. Grâce à ces résultats, je pourrai formuler des hypothèses sur les conditions d'apparition d'une histoire sociale et culturelle des sciences en cours de physique-chimie.

Comme indiqué plus haut, il s'agit ici d'une première étape. En effet selon mon hypothèse de recherche, l'introduction d'une histoire sociale et culturelle des sciences est une condition nécessaire — mais non suffisante — à l'intégration des questions d'égalité filles-garçons en cours de physique-chimie. Il conviendra ensuite de se pencher plus précisément sur la manière d'articuler histoire des sciences et égalité dans une séquence d'enseignement.

Braunstein, J.-F. (2008). L'histoire des sciences. Méthodes, styles et controverses. Vrin.

Devreux, A.-M. (2016). L'androcentrisme des sciences : Des biais de genre très « durs ». In Les sciences et le genre : Déjouer l'androcentrisme. Presses universitaires de Rennes.

Hulin, N. (1984). L'histoire des sciences dans l'enseignement scientifique : Aperçu historique. Revue française de pédagogie, 66, 15‑27.

Kitzinger, J., Markova, I., & Kalampalikis, N. (2004). Qu'est-ce que les focus groups ? Bulletin de psychologie, 57(3), 237‑243.

Mathy, P. (1997). Donner du sens aux cours de sciences : Des outils pour la formation éthique et épistémologique des enseignants. De Boeck.

Maurines, L., & Beaufils, D. (2011). Un enjeu de l'histoire des sciences dans l'enseignement : L'image de la nature des sciences et de l'activité scientifique. Recherches en didactique des sciences et des technologies, 3, 271‑305.

Pestre, D. (2006). Femmes, genre et science : objectivité et parti pris. In Introduction aux Science Studies (pp. 76–93). La Découverte.


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