Communications par auteur.e > Lhoste Yann

L'insécabilité des savoirs et des pratiques de savoirs dans les processus de sémiose au cours d'un débat scientifique sur le concept d'articulation à l'école primaire
Corinne Marlot  1@  , Yann Lhoste  2@  
1 : Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud  (HEPL)
Haute école pédagogique Vaud - Avenue de Cour 33 - 1014 Lausanne -  Suisse
2 : Laboratoire d'épistémologie et de didactiques des disciplines de Bordeaux  (Lab-E3D)
Université de Bordeaux (Bordeaux, France)
Université de Bordeaux, ESPE d'Aquitaine, 49, rue de l'école normale - F33021 Bordeaux cedex -  France

Introduction, cadre théorique et question de recherche

De nombreuses études renseignent sur le fait que les enseignants rencontrent des difficultés pour assumer un enseignement conjoint des savoirs et des pratiques de savoir en sciences, lors de la mise en œuvre de la démarche d'investigation scientifique (Marlot et Morge, 2016 ; Perron, 2018). Un des risques majeurs est alors de valoriser la méthode au détriment des contenus (Fabre, 2015). Dans cette communication nous souhaitons mettre en dialogue 2 cadres théoriques en tant que modélisation des savoirs – le modèle de la structuration des contextes (Lhoste, 2017) et celui de l'action conjointe en didactique (Sensevy, 2011 ; Marlot, 2014 ; Schubauer-Leoni, Leutenegger, Ligozat & Fl ̈uckiger, 2007) du point de vue de l'analyse des interactions langagières. Notre intention est d'augmenter l'intelligibilité de certains phénomènes d'enseignement et d'apprentissage, notamment la construction de significations partagées en classe qui portent à la fois sur les objets de savoir et les pratiques de ces savoirs. En effet, nous partageons l'idée de l'insécabilité entre les savoirs et les pratiques de savoirs, selon le syntagme d'agir-parler-penser (Bernié, Jaubert & Rebière, 2008) qui pose l'insécabilité des contenus et des démarches, agir-parler-penser qui embarque les savoirs autant que les pratiques/usages de savoir en tant que savoirs culturels disciplinaires. Nous nous focalisons ainsi sur la question des sémioses en jeu dans les situations d'enseignement et d'apprentissage en SVT (Sensevy, ibid; Lhoste, ibid) dans la mesure ou l'activité langagière renseigne sur l'activité cognitive ( Schneeberger & Vérin, 2009 ; Marlot, ibid ; Lhoste, ibid).

Contre ce dualisme méthode/contenu, notre travail – qui se situe dans l'axe 1 de ce colloque - se propose d'interroger l'articulation des dimensions épistémologiques (les modalités de l'agir-parler-penser en sciences) et épistémiques (les savoirs en jeu), en mettant à l'épreuve de l'enquête les 2/ questions suivantes :

- Comment se construisent – au sens d'une construction culturelle - les manières d'agir-parler-penser pertinentes (pratiques de savoir, PS) au regard des savoirs en jeu dans une séquence relevant d'une investigation sur l'objet d'étude de l'articulation ?

- Comment sont partagés, rendus visibles, lisibles et accessibles à tous les élèves ces savoirs et ces pratiques de savoir ?

Méthode de recherche

Notre méthode d'analyse se déploie selon 3 phases à partir de la transcription des échanges entre 5 groupes lors d'un débat filmé en classe de CM1 (élèves de 9-10 ans).

La première phase consiste à identifier les unités de découpage de l'action et les épisodes significatifs en construisant le synopsis des 2 séances concernées (Sensevy, 2011) ainsi que la macrostructure du débat (Orange & Fabre, 1997).

La deuxième phase engage l'analyse des interactions langagières successivement selon chacun des 2 cadres d'analyse.

Notre présentation se focalisera sur la phase 3 (identification des objets de discours et des raisonnements) qui donne à voir certains des résultats de l'analyse croisée et nous permet de poser certaines des implications didactiques et épistémologiques de la construction de significations partagées dans le cadre d'un débat scientifique. Ces implications ont pris la forme dans ce travail de catégories de description susceptibles de rendre compte du niveau d'articulation des savoirs et pratiques de savoir.

Résultats

L'analyse du débat suite à la présentation des travaux du groupe 1, nous a amené à faire émerger les 2 catégories suivantes : conjonction vs disjonction des savoirs et pratiques de savoirs.

- Conjonction : l'enseignant donne à voir conjointement les objets de discours (OD) et les manières d'agir-parler-penser (PS) pertinents au regard des objets de savoir visés par l'enseignement ;

- Disjonction : l'enseignant travaille avec les élèves autour des modes d'agir-parler-penser spécifiques de l'activité scientifique mais sur des objets de discours qui s'éloignent de l'objet de savoir visé.

Ces 2 catégories ont ensuite été mises à l'épreuve et enrichies lors de l'analyse du débat suite à la présentation du groupe 2. Nous envisageons ainsi deux nouvelles formes de disjonction :

Disjonction type 2 : OD éloigné des PS et OD cohérents avec les OS

Disjonction type 3 : OD éloigné des OS et des PS

Nos analyses nous ont ainsi permis d'identifier des phénomènes assez contrastés dans la régulation des interactions par l'enseignant qui nous amènent à observer une majorité de phénomènes de conjonction pour la présentation de groupe 1 et une majorité de phénomènes de disjonction de type 1 pour le groupe 2.

La discussion des résultats ainsi que la poursuite des analyses, nous amèneront à développer les points suivants :

Si, pour les premiers groupes, la dimension épistémologique est valorisée et enrichie, le fait que les pratiques de savoir (modalités de l'agir-parler-penser) ne soient pas thématisées/diffusées/explicitées dans la classe par l'enseignant ne leur confère pas de statut de savoir nouveau. Ce qui peut produire un accès différencié aux connaissances. Les bons élèves, ceux qui comprennent implicitement « à quel jeu on joue », vont s'emparer de ces PS et les remobiliser dans des situations identiques à venir.

Quant à la mise en dialogue des 2 cadres (Action conjointe et Modèle de la Structuration des Contextes) pour étudier la sémiose, celle-ci a permis (1) l'identification et la caractérisation fine de phénomènes de conjonction et disjonction entre Savoir et Pratiques de Savoir et (2) la mise au jour d'une intrigue didactique dans la régulation des interactions par l'enseignant ; ce qui pourrait ouvrir sur une meilleure compréhension des tensions et des contradictions dans la mise en œuvre de débats scientifiques. Autrement dit, en quoi le phénomène de conjonction ou disjonction des savoirs et PS dans le contexte du débat scientifique impacte les conditions d'accès à une culture scientifique partagée. 

 

Bibliographie

Bernié, J.-P., Jaubert, M., & Rebière, M. (2008). Du contexte à la construction du sujet cognitif : L'hypothèse énonciative. In M. Brossard & J. Fijalkow (Éds.), Vygotski et les recherches en éducation et didactiques (p. 123‑141). Presses universitaires de Bordeaux.

Fabre, M. (2015). Education et humanisme. Lecture de John Dewey. Vrin.

Lhoste, Y. (2017). Épistémologie & didactique des SVT. Langage, apprentissage, enseignement des sciences de la vie et de la Terre. Presses universitaires de Bordeaux.

Marlot, C. (2014). Le processus de double sémiotisation au coeur des stratégies didactiques du professeur. Une étude de cas en découverte du monde vivant au cycle 2. Revue suisse des sciences de l'éducation, 36(2).

Marlot, C & Morge, L. (éd.) (2016). L'investigation scientifique et technologique. Comprendre les difficultés de mise en œuvre pour mieux les réduire. Presses universitaires de Rennes.

Perron, S. (2018). Étude de l'articulation des démarches d'investigation scientifique avec les autres savoirs composant la structure disciplinaire : cas d'enseignants de sciences de la vie et de la Terre exerçant en collège français. Thèse de doctorat. Université de Bretagne occidentale – Brest (France); Université de Sherbrooke (Québec, Canada)

Schneeberger, P., & Vérin, A. (2009). Développer des pratiques d'oral et d'écrit en sciences. Quels enjeux pour les apprentissages à l'école ? INRP.

Schubauer-Leoni, M.L, Leutenegger, F. Ligozat, F, & Fl ̈uckiger, A. (2007). Un modèle
de l'action conjointe professeur- ́élèves ; les phénomènes qu'il peut/doit traiter. Dans G. Sensevy, A. Mercier (dir.), Agir Ensemble. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves dans la classe, (p. 51-91). Rennes, France : Presses universitaires de Rennes

Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir. Éléments pour une théorie de l'action conjointe. De Boeck.

 


Personnes connectées : 1 Vie privée
Chargement...