Communications par auteur.e > Quinton Loïc

L'enseignement de l'entropie au premier cycle de l'enseignement supérieur dans la perspective de la théorie du changement conceptuel
Vincent Natalis  1, 2@  , Bernard Leyh  1, 2@  , Loïc Quinton  1, 3@  
1 : Universite de Liege
2 : Didactifen
3 : MolSys

Introduction

Les recherches présentées ici portent sur l'identification de conceptions alternatives (CA) chez des étudiants de l'enseignement supérieur. Une conception « correspond à des explications, interprétations, ou prédictions produites dans une situation spécifique » [1]. Une conception alternative est alors une conception, mobilisée par un étudiant, qui n'est pas scientifiquement fondée. Ce travail se focalise sur un des aspects fondamentaux de la thermodynamique, l'entropie et le second principe, dont plusieurs obstacles didactiques jalonnent l'enseignement au cycle supérieur : nature émergente, haut degré d'abstraction, prérequis mathématiques [2]. De plus, la littérature a identifié plusieurs CA, comme, par exemple, Christensen en didactique de la physique : « l'entropie est une quantité conservée » [3], cette CA persistant même après un cours du cycle supérieur.

L'entropie est enseignée sous des angles différents en biologie, chimie et physique. Comme le souligne Dreyfus dans une revue sur l'enseignement de la thermodynamique dans ces disciplines [4], un dialogue entre ces dernières est souhaitable pour en améliorer l'enseignement. L'approche de la didactique chimique, qui articule les points de vue macroscopique, submicroscopique, et symbolique du comportement de la matière, se distingue de l'approche en ingénierie, plus pragmatique et utilitariste, bien que le déroulé pédagogique (enthalpie, entropie, enthalpie libre) soit similaire.

Le présent travail s'inscrit dans le cadre théorique du changement conceptuel [5] qui vise à analyser et interpréter théoriquement la façon dont les apprenants réalisent la transition entre leurs CA et les conceptions scientifiques admises. Notons que les recherches en neurosciences [6] mettent en avant l'inhibition des CA, qui subsistent néanmoins en arrière-plan. 

Question de recherche

Notre contribution se focalise d'abord sur l'émergence des phénomènes macroscopiques à partir du comportement submicroscopique, pour laquelle l'identification de CA n'est pas assez développée. Pour un recensement récent des CA connues, citons par exemple Atarés, 2021 [2]. L'identification de CA en thermodynamique n'a, à notre connaissance, jamais été tentée sur un public belge francophone et est nécessaire pour donner un ancrage local à la suite du travail de thèse, qui prévoit une ingénierie didactique, car les variations de modalités d'enseignement entre les pays et les universités peuvent être grandes. De plus, de nombreuses propositions didactiques sur l'amélioration de l'enseignement de l'entropie ne s'articulent pas autour des CA connues. Les identifier d'abord dans notre contexte nous permettra de connecter plus finement CA détectées et ingénierie didactique future.

Notre question de recherche s'énonce ainsi : comment se comparent, dans une université belge francophone, les CA relatives à l'entropie et au second principe de la thermodynamique d'étudiants en 1ère année de chimie, géologie et pharmacie et d'étudiants de 2ème année en sciences de l'ingénieur, orientation chimie, ayant suivi, respectivement, un cours de chimie générale et un cours de thermodynamique, tous deux fondés sur une approche macroscopique de la thermodynamique ?

Méthode

Un questionnaire, préalablement validé par des experts, a été soumis à N=181 étudiants en sciences en 1re année de bachelier universitaire (Chimie, N=27 ; Géologie, N=12 ; Pharmacie, N=142, cohorte A) et à N=167 étudiants en sciences de l'ingénieur, orientation chimie, en 2e année de bachelier (cohorte B). Cinq des onze questions sont des questions fermées visant à sonder des CA pressenties chez les étudiants, à la lumière de la littérature [2,3,7] et de l'analyse de traités de chimie générale et physique. Six questions semi-ouvertes (choix multiple et demande de justification) suscitent un conflit cognitif par confrontation à des paradoxes liés aux CA.

Résultats et discussion

Considérons, à titre d'exemple, une question semi-ouverte du questionnaire pour la cohorte A. Il s'agit de comparer les entropies du propane et du CO2 gazeux à même température et même volume. Nous observons que 59% des étudiants considèrent les deux entropies égales, que seuls 26% concluent que l'entropie du propane est plus grande que celle du CO2 et que 6% pensent que celle du propane est inférieure à celle du CO2 (3% des étudiants choisissent « aucune de ces réponses » et 6% ne répondent pas). En analysant les justifications, on identifie de nouvelles CA. Pour illustrer le type d'analyse qui sera présentée au colloque, examinons une de celles-ci.

Pour justifier que S(C3H8) < S(CO2), les étudiants mobilisent la CA « plus une molécule possède de liaisons intramoléculaires, plus elle est ordonnée, donc plus l'entropie est faible ». Pour comprendre l'origine de cette CA, on peut comparer l'eau liquide (plus de liaisons intermoléculaires, dont de nombreux ponts hydrogène) avec la vapeur d'eau (moins de liaisons intermoléculaires, absence de ponts hydrogène). Par extrapolation incorrecte de ce raisonnement aux liaisons intramoléculaires, certains étudiants comparent le nombre de liaisons intramoléculaires dans C3H8 (10 liaisons) et CO2 (2 liaisons) et concluent que S(C3H8) < S(CO2), par analogie avec S(liquide) < S(gaz).

Entre les deux cohortes, nous observons des CA similaires, comme une indépendance de l'entropie à la nature des molécules, CA cohérente avec un cours fondé sur une approche macroscopique de la thermodynamique. On voit également certaines variantes de CA dans chaque cohorte. Par exemple, dans la cohorte B : « Plus une molécule est stable physico-chimiquement, plus son entropie est faible » et dans la cohorte A : « L'entropie dépend de la quantité d'énergie nécessaire pour briser les liaisons ». A notre connaissance, même dans la littérature récente [2], de telles CA n'ont pas été répertoriées ou analysées.

Conclusion

L'entropie et le second principe de la thermodynamique, par leur degré d'abstraction, la diversité des manières de les aborder et les conflits cognitifs qu'ils engendrent, représentent un défi didactique. Nous montrons que des étudiants des deux cohortes présentent des CA importantes sur le concept d'entropie et que celles-ci peuvent être analysées comme de mauvaises interprétations de l'émergence des phénomènes macroscopiques à partir des propriétés microscopiques. Nous mettons en évidence des similarités et des différences entre les approches de ces deux disciplines.

Bibliographie

[1] Kail, M., Fayol, M., & Tiberghien, A. (2003). Chapitre 8. Des connaissances naïves au savoir scientifique. Les Sciences Cognitives et l'école, (March 2002), 353. https://doi.org/10.3917/puf.coll.2003.01.0353

[2] Atarés, L., Canet, M. J., Trujillo, M., Benlloch-Dualde, J. V., Royo, J. P., & Fernandez-March, A. (2021). Helping pregraduate students reach deep understanding of the second law of thermodynamics. Education Sciences, 11(9). https://doi.org/10.3390/educsci11090539

[3] Christensen, W. M. (2009). Student ideas regarding entropy and the second law of thermodynamics in an introductory physics course, 907–917. https://doi.org/10.1119/1.3167357

[4] Dreyfus, B. W., Geller, B. D., Meltzer, D. E., & Sawtelle, V. (2015). Resource Letter TTSM-1: Teaching Thermodynamics and Statistical Mechanics in Introductory Physics, Chemistry, and Biology. American Journal of Physics, 83(1), 5–21. https://doi.org/10.1119/1.4891673

[5] diSessa, A. A., & Sherin, B. L. (1998). What changes in conceptual change? International Journal of Science Education, 20(10), 1155–1191. https://doi.org/10.1080/0950069980201002

[6] Potvin, P. (2013). Proposition for improving the classical models of conceptual change based on neuroeducational evidence: conceptual prevalence. Neuroeducation, 2(1), 16–43. https://doi.org/10.24046/neuroed.20130201.16

[7] Sözbilir, M., & Bennett, J. M. (2007). A study of Turkish chemistry undergraduates' understandings of entropy. Journal of Chemical Education, 84(7), 1204–1208. https://doi.org/10.1021/ed084p1204

 

 


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