Communications par auteur.e > Lefrançois David

S5 Des élèves du secondaire enquêtent sur l'actualité dans une démarche historienne. Analyse du travail d'élèves impliquant la critique de sources
Marc-André Éthier  1@  , David Lefrançois  2@  , Alexandre Lanoix  1@  
1 : Université de Montréal
2 : Université du Québec en Outaouais

Les didacticiens de l'histoire s'entendent pour dire que l'enquête (historique) ne se cantonne pas à la recherche de « la » bonne source qui contient « la » bonne réponse à une question posée par autrui (ou à la recherche de l'information à vérifier — fact-checking — pour s'assurer que telle réponse est exacte ou conforme à tel dogme), à propos des causes d'un évènement, de son déroulement chronologique ou des motivations d'individus impliqués dans cet évènement (Cariou, 2022 ; Doussot, 2018). La pensée critique, en histoire, se constitue de (et se manifeste à) chaque étape (itérative et non séquentielle) de l'enquête : de la problématisation à l'interprétation et au débat historiographique, en passant par la création et l'analyse du corpus.

Les programmes français, suisses et québécois d'études de l'histoire leur font notamment écho en désignant en général la pensée critique comme l'un de leurs grands objectifs et en rejetant aussi bien le comportementalisme d'une mécanique positiviste procédurale fétichisant une méthode ou hypostasiant les sources primaires que l'inculcation des produits de l'histoire savante ou d'un roman national (Éthier, Lefrançois et Audigier, 2018).

Selon le cadre théorique que nous adoptons, cette pensée critique repose sur un rapport dialectique, éristique et euristique au savoir impliquant en histoire, entre autres, trois opérations intellectuelles associées aux pratiques de référence des experts : indexation, contextualisation, corroboration des sources primaires (Barton, 2005 ; Wineburg, 2001).

Or, la pensée critique semble n'être ni exercée ni évaluée à l'école québécoise (Éthier et Lefrançois, 2019), quoique plusieurs recherches montrent qu'elle peut s'apprendre dès le primaire (Demers, Lefrançois et Éthier, 2010) et quoiqu'il soit connu que certaines pratiques d'enseignement permettent à des élèves d'enquêter à partir de sources, dont les témoignages oraux (dont certains sont contradictoires entre eux ou avec les opinions des élèves), notamment sur la vie quotidienne, et de se familiariser avec la problématisation, la conceptualisation et la critique de sources primaires et d'interprétations (Doussot et Fink, 2019).

Certes, nos propres recherches au secondaire, les plus anciennes comme celles encore en cours, montrent que les plus jeunes élèves peinent souvent à problématiser et à analyser des sources primaires ou secondaires : soit ils repèrent et transcrivent l'information confirmant le plus leur avis ou étant la plus fréquente, sans mobiliser une seule des euristiques visées (Éthier, Lefrançois et Moisan, 2010) ; soit leurs réponses expriment en général un bas niveau de maitrise, malgré que ce niveau soit plus élevé chez un nombre notable d'individus et — à familiarité avec la langue française et milieux socioéconomiques comparables — dans certaines classes, les résultats semblant même dépendre du type d'enseignement auquel ont été soumis les élèves.

En 2021-2022, avec trois enseignants d'histoire de deux écoles secondaires de la grande région de Montréal, nous avons entrepris une recherche pour explorer l'effet qu'un enseignement centré sur l'enquête et sur les compétences spécifiques à l'histoire peut exercer sur le développement et le la familiarisation avec les pratiques de référence en histoire et leur transfert dans la problématisation de questions socialement vives. À partir de la transcription de trois séquences de cours et des travaux des élèves, nous avons décrit, analysé ou exploré (1) les consignes et interactions des enseignants avec les élèves qui visaient à les aider à construire ou utiliser de l'information, des concepts et des méthodes liés à sa discipline pour poser et résoudre le problème auquel ils les ont amenés à se frotter ; (2) les démarches d'enquête et de conceptualisation des élèves, leurs questions et explications ; (3) les arguments, preuves et faits qu'ils ont constitués ou institués comme réponses à leurs questions ; (4) l'évolution de la dévolution du problème, des représentations sociales que les élèves expriment du concept central et des rapports au savoir qu'ils manifestent. Cette recherche se poursuit dans l'une des classes de l'un des enseignants et se précise en 2022-2023, en mettant l'accent sur l'emploi de l'euristique de la contextualisation dans l'analyse d'un évènement d'actualité rapporté dans les grands médias électroniques.

Cette communication rappelle d'abord rapidement la part incombant, dans les programmes québécois d'études obligatoires d'histoire, à l'éducation aux médias, en général, et celle dévolue à la problématisation, à la critique et à l'interprétation historiennes des documents médiatiques, en particulier. Une deuxième partie articule différents fondements du cadre théorique dans lequel s'inscrit notre recherche et qui guident nos démarches pour susciter les données dont nous avons besoin pour répondre à la question et pour les analyser. Une troisième partie analyse les manifestations du transfert de l'euristique de la contextualisation dans les travaux des élèves à qui devaient problématiser un évènement d'actualité. La conclusion examine les rapports entre le cadre théorique mobilisé et le dispositif didactique expérimental exploité pour analyser les séances, afin d'esquisser une comparaison avec les modèles épistémologiques de l'enquête scientifique de référence de trois autres cadres théoriques, celui de Cariou, celui de Fink et Honoré et celui de Doussot.

Références

Barton, K. C. (2005). Primary sources in history: breaking through the myths. Phi Delta Kappan, 86(10), 745-753.

Cariou, D. (2022). Le document et l'indice. Presses universitaires de Rennes.

Demers, S., Lefrançois, D. et Éthier, M.-A. (2010). Un aperçu des écrits publiés en français et en anglais depuis 1990 à propos de recherches en didactique sur le développement de la pensée historique au primaire. Dans Cardin, J.-F., Éthier, M.-A. et Meunier, A. (dir.). Histoire, musées et éducation à la citoyenneté (p. 213-245). Multimondes.

Doussot, S. (2018). L'apprentissage de l'histoire par problématisation. Enquêter sur des cas exemplaires pour développer des savoirs et compétences critiques. Peter Lang.

Doussot, S. et Fink, N. (2019). Faire problématiser des élèves de CE2 en histoire à partir de témoignages. Recherches en didactiques (1), 89-103.

Éthier, M.-A. et Lefrançois, D. (dir.) (2019). Agentivité et citoyenneté dans l'enseignement de l'histoire. Un état de la recherche en didactique de l'histoire au Québec. M Éditeur.

Éthier, M.-A., Lefrancois, D. et Audigier, F. (2018). Pensée critique, pensée historienne et enseignement de l'histoire et de la citoyenneté. De Boeck.

Éthier, M.-A., Lefrançois, D. et Moisan, S. (2010). Trois recherches exploratoires sur la pensée historique et la citoyenneté à l'école et à l'université. Dans Éthier, M.-A., Cardin, J.-F. et Meunier, A. (dir.), Histoire, musées et éducation à la citoyenneté (p. 267-287). MultiMondes 

Fabre, M. (2018). Préface. Dans Éthier, M.-A., Lefrançois, D. et Audigier, F. (dir.) Pensée critique, enseignement de l'histoire et de la citoyenneté (p. 7‑ 12). De Boeck.

Wineburg, S. (2001). Historical thinking and other unnatural acts. Temple University Press.



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