Communications par auteur.e > Rebiere Maryse

Ecrire sans savoir écrire pour apprendre au cours préparatoire
Véronique Magniant  1@  , Martine Jaubert  2@  , Maryse Rebiere  3@  
1 : LAB-E3D
Université Bordeaux
2 : Laboratoire d'Épistémologie et De Didactiques des Disciplines de Bordeaux  (Lab-E3D)
Université de Bordeaux
49, rue de l'école normale - 33021 Bordeaux -  France
3 : Laboratoire Epistémologie et Didatique Des Disciplines  (Lab-E3D)
Université de Bordeaux (Bordeaux, France), Université de Bordeaux
Lab-E3D, Université de Bordeaux, 3 ter Place de la Victoire 33 000 Bordeaux -  France

Les textes actuels institutionnels du cycle 2 (B.O. du 26 juillet 2018) invitent les enseignants à utiliser les activités disciplinaires pour apprendre l'écrit, tant sous l'angle de la réception que de la production. Ils soulignent qu'« il n'est pas nécessaire d'être lecteur pour commencer à écrire » et recommandent de faire écrire aux élèves des « écrits courts, porteurs de sens dans le cadre d'une situation motivante » dans « toutes les disciplines ». Il s'agit ainsi d'apprendre à écrire de façon autonome, quels que soient les objets de savoir en jeu et quelles que soient les disciplines, ce qui entre en tension avec les représentations usuelles de l'apprentissage de l'écrit et les dispositifs didactiques habituels. En général en effet, l'enseignement de la production écrite est dévolu à la discipline français, de ce fait les écrits en sciences, histoire ou autre discipline sont produits le plus souvent au-delà du cours préparatoire, le « faire » étant supposé une conséquence du savoir-faire. L'injonction ministérielle semble d'autant plus paradoxale lorsqu'on enseigne à un public éloigné des attentes scolaires et de la culture de l'écrit. Comment résoudre les écarts entre les attentes officielles et les performances d'élèves dont les rapports à l'écrit sont très hétérogènes ? Le B.O. semble répondre à cette question en suggérant la pratique, dès le début du CP, de production et de révision des textes dans le cadre d'« une collaboration au sein de la classe et sous la conduite du professeur ».
On peut se demander à quelles conditions un dispositif de production, de partage et de critique des écrits, suivi de réécritures diverses, peut constituer un contexte pertinent pour l'apprentissage.

Des recherches ont étudié la production du langage écrit dans les disciplines dès la maternelle, notamment par le biais de la dictée à l'adulte (Javerzat, 1998). En Cours Préparatoire (CP), l'écriture accompagnée et l'atelier dirigé d'écriture (Fabre-Cols 2002, Bucheton et Soulé 2009), permettent l'écriture autonome de récits ou d'écrits sociaux. Ce qui nous mène à nous interroger : pourrait-on envisager de faire écrire des élèves de CP de manière autonome, dans les disciplines ? Quel dispositif ou quelles modalités pourraient viser des apprentissages scripturaux dans les dimensions linguistique, graphomotrice, mais aussi cognitive et langagière, au regard des savoirs disciplinaires visés ?

Dans le cadre de la théorie historique et culturelle, nous considérons l'écriture comme un processus complexe (Kervyn, 2019) fondamentalement dialogique qui résulte de l'intériorisation d'interactions langagières reconfigurées selon un mouvement que nous appelons secondarisation (Jaubert et Rebière, 2006). Elle participe à la construction des savoirs (linguistiques, sémantiques et socio-pragmatiques), de savoir-faire (Dabène, 1991) mais aussi à celle des élèves en tant que sujets culturels (Goody, 1979, Barré-De Miniac, 2015).
Ainsi, nous attribuons un rôle majeur aux concepts de médiation langagière des pairs et de l'adulte, à la nécessité de construire un contexte de pertinence qui permet progressivement aux élèves de s'inscrire dans le monde de l'écrit et dans une discipline. Notre focale sur la médiation langagière nous conduit à chercher des gestes professionnels langagiers didactiques (Lhoste et Champagne 2019) efficaces.
Nous faisons l'hypothèse qu'en CP, contrairement aux usages, il est possible de faire écrire les élèves de façon autonome, tous les jours, dans différentes disciplines. Une des conditions d'apprentissage serait selon nous la révision collective récurrente, sur toutes les dimensions de l'écrit de certaines des productions, permettant aux élèves de produire des écrits de plus en plus élaborés, normés linguistiquement et spécialisés au regard des savoirs disciplinaires et du genre de discours permettant de dire ces savoirs. Les positions énonciatives ébauchées en maternelle, pourraient alors se différencier, en lien avec la construction des savoirs.

Un dispositif qui suppose des écrits quotidiens a donc été mis en œuvre pour évaluer la faisabilité de cette hypothèse : écrits en toutes disciplines, révision (textes lus, commentés, parfois annotés par les pairs et l'enseignante) collective régulière des textes projetés sur Tableau Numérique Interactif, apport de connaissances disciplinaires avant réécritures. Le corpus a été construit dans une classe de CP dédoublé (12 élèves), située en milieu prioritaire. Il est constitué des différentes productions écrites dans plusieurs disciplines tout au long de l'année, d'enregistrements vidéo des séances d'évaluation collective et de leur verbatim.

Pour cette communication, nous ne présentons pas nos résultats concernant les dimensions graphomotrices et linguistiques. Nous proposons d'analyser les transformations et déplacements langagiers et cognitifs réalisés entre plusieurs écrits (récit en français et explication en technologie) et d'identifier les objets de discours en lien avec la complexité de l'écriture, négociés au cours des interactions langagières lors des révisions collectives. Ces analyses nous conduiront à questionner les gestes professionnels langagiers didactiques qui orientent les échanges et sont susceptibles d'accompagner la secondarisation des discours.

Les outils d'analyse que nous mobilisons sont empruntés aux travaux de Kervyn (2018) (Cappeau & Roubaud, 2005) pour ce qui concerne les dimensions linguistiques.
Pour analyser la mise au travail du langage, nous observons comment sont dits les objets : opérations de schématisation (Grize 1996), progression thématique, pertinence des reprises-modifications, lexique spécialisé scientifique ou littéraire. Certains outils sont spécifiques de la discipline :
- en sciences, ici la technologie : généralisation des énoncés, densité informative, non implication, liens logico-temporels
- en français (narration) : structure du texte, mise en lien des personnages et des évènements, dialogues.

Nos premiers résultats permettent d'observer que tous les élèves produisent sans réticence des écrits plus ou moins normés linguistiquement. Nous focaliserons la présentation de nos résultats sur la dimension langagière : l'analyse des déplacements entre les écrits initiaux et réécritures met en évidence une activité réflexive qui permet aux élèves d'acquérir les savoirs scripturaux. Dans leurs écrits, les élèves ébauchent différentes positions énonciatives : énonciateurs dans une sphère scolaire scientifique, produisant des écrits qui tendent à être informatifs ou explicatifs en sciences, ou énonciateurs dans une sphère scolaire littéraire, qui tendent à captiver les lecteurs.

Bibliographie

Barré-De Miniac, C. (2015). Le rapport à l'écriture : aspects théoriques et didactiques. Presses Universitaires du Septentrion.

Bronckart, J.-P. (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme socio-discursif. Delachaux et Niestlé.

Bucheton, D. et Soulé, Y. (2009). L'atelier dirigé d'écriture au CP : une réponse à l'hétérogénéité des élèves. Delagrave.

Cappeau, P. et Roubaud, M.-N. (2005). Enseigner les outils de la langue avec les productions d'élèves.

Fabre-Cols, C. (2002). Réécrire à l'école et au collège : de l'analyse des brouillons à l'écriture accompagnée. ESF éditeur.

Dabène, M. (1991). Un modèle didactique de la compétence scripturale. Repères n°4 (p. 9-22).

Goody, J. (1979) La raison graphique. Éditions de minuit.

Grize, J.-B. (1996). Logique naturelle et communication. Presses Universitaires de France.

Jaubert, M et Rebière, M. (2006). Émergence d'un concept en didactique du français : la secondarisation. Actes sur CD Rom du colloque international de l'AFIRSE, A. Rouchier (éd.) Didactiques : quelles références épistémologiques ? AFIRSE.

Jaubert, M. et Rebière, M. (2021). Un modèle pour interpréter le travail du langage au sein des communautés discursives disciplinaires scolaires. Pratiques [En ligne]189-190. DOI : https://doi.org/10.4000/pratiques.9680

Javerzat, M.-C. (1998). De la dictée à l'adulte ou de la façon de faire venir l'écrit à la bouche. Repères [En ligne] n°17 DOI :https://doi.org/10.3406/reper.1998.2252.

Kervyn, B. (2018). Ecrire un acte complexe. [En ligne] Site du Centre Alain Savary, Institut Français de l'Éducation. https://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/ressources/theme-1-perspectives-pedagogiques-et-educatives/lire-ecrire-parler-pour-apprendre-dans-toutes-les-disciplines/dossier-lire-ecrire/copy_of_ecriture-se-construire-une-culture-commune

Lhoste, Y., & Champagne, M. (2019). Des gestes professionnels aux gestes langagiers didactiques. Apports d'une recherche comparatiste en didactiques des disciplines. In I. Verscheure, M. Ducrey Monnier & L. Pelissier (éd). Enseignement et formation. Éclairages de la didactique comparée, Presses universitaires du Midi, pp.45-60.

Ministère de l'Éducation Nationale, B.O. 26 juillet 2018 Arrêté du 17-7-2018 - J.O. du 21-7-201



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