Communications par auteur.e > Zaid Abdel Karim

Techniques d'intervention dans le dispositif Devoirs Faits
Abdel Karim Zaid  1, 2, 3@  
1 : Théodile-CIREL
Centre Interuniversitaire de Recherche en Education de Lille - ULR 4354 : EA1764, Université de Lille, Sciences Humaines et Sociales
2 : Centre Interuniversitaire de Recherche en Education de Lille - ULR 4354
Université de Lille : ULR4354, Université de Lille, Sciences Humaines et Sociales
3 : Zaid Abdelkarilm
INSPE de LilleUniversité de Lille

Le dispositif Devoirs Faits[1] (DeFa) est étudié ici du point de vue du contenu qui le spécifie en considérant que dispositif et contenu sont liés et émergent conjointement (Zaid, 2017). En effet, au cœur de l'aide aux devoirs il y a un contenu, disciplinaire ou non, autour duquel émerge le dispositif DeFa et se spécifie. En retour, par le rapport de l'intervenant à la tâche à réaliser, l'organisation qu'il donne au dispositif, les modalités de travail qu'il lui imprime et les interactions avec l'élève, le dispositif délimite les conditions d'émergence du contenu.

Le dispositif DeFa actualisé, construit par l'intervenant qu'il soit enseignant ou AED, reflète ses manières de penser et de faire, les dispositions et les difficultés de l'élève et le type de tâche à réaliser en lien avec ce qui s'est passé en classe. Si bien que l'aide au devoir peut être perçue comme une intervention éducative à part entière (Lenoir, 2009), une pratique dont le lien avec la classe ne lui impose pas, par nécessité, un caractère secondaire. Cette pratique est structurée par une technique d'intervention qui peut être saisie et analysée selon différents registres de technicités (Martinand, 1994). Trois registres de technicité seront identifiés : registre de l'expertise caractérisé par une intervention guidée par la maîtrise de l'aide aux devoirs (relativement à un contenu donné), voire la capacité de changement de perspective ou de point de vue par rapport à celle-ci ; registre de la participation correspondant à la capacité d'intervenir avec aide et contrôle (d'un autre intervenant) ; registre de l'interprétation qui correspond à la capacité de « lire » et d'analyser la prescription ou la consigne concernant l'aide aux devoirs, de l'expliquer et de l'organiser tout en restant dans une approche privilégiant la gestion de la relation. Le choix d'une technique d'intervention, selon un registre donné, est déterminé, au-delà du rapport au contenu au cœur de la tâche, par le rapport au savoir de l'intervenant (Venturini et Capiello, 2009). Comment agissent alors les intervenants dans la situation d'aide aux devoirs : selon quelles techniques d'intervention et selon quels registres ? Comment recomposent-ils leurs techniques d'intervention entre ce qui fait le cœur de professionnalité et le caractère disciplinaire des devoirs ?

En vue de répondre à ces questions, cette recherche procède selon deux démarches de recueil des données. D'une part, des entretiens sont réalisés avec 12 enseignants dans trois établissements lillois différents dont deux classés en réseau d'éducation prioritaire entre le mois de novembre 2020 et janvier 2021. Un entretien a été réalisé à distance. Le guide d'entretien vise à mettre en évidence les techniques d'intervention déclarées des enseignants à travers cinq thèmes : parcours de l'enquêté, entrée dans le dispositif DeFa, perception de l'organisation pédagogique de DeFa, construction et fonctionnement en situation de DeFa et perception des effets de DeFa. D'autre part, des observations se sont déroulées dans un collège du bassin minier de Lille. La première observation s'est déroulée avec une enseignante d'anglais. Elle prend en charge un groupe de 12 élèves de 6ème. 9 élèves sur 12 travaillent sur la fiche d'anglais et trois autres sur une série d'exercices en mathématiques (calculs numériques : produit, somme et comparaisons). La série d'exercice de mathématiques est projetée au tableau en se connectant sur Pronote. Il n'y a pas de modalité ou organisation de travail spécifique qui est imposée par l'enseignante. Elle intervient selon la demande de chaque élève. La seconde observation s'est déroulée avec un enseignant de mathématiques (12 élèves de 5ème). En contraste avec la première séance, c'est l'enseignant qui fait le tour des tables pour demander à chaque élève de sortir son agenda et d'indiquer ce qu'il a à faire comme devoir. Diverses situations se sont alors manifestées selon les devoirs à faire : des devoirs en mathématiques sur le cahier (suite d'un travail commencé en classe) ; une série d'exercices de mathématiques sur Pronote (ce qui a été projeté au tableau) ; une « punition » en français (conjugaison) consistant à écrire un certain nombre de fois des verbes au présent de l'indicatif ; un exercice en anglais sur l'utilisation de l'obligation et l'interdiction. L'enseignant rappelle dès le départ la modalité de travail : lire la consigne puis, au besoin, demander son aide.

Cette recherche met en évidence que le dispositif DeFa implique un type d'intervention didactique privilégiant un point de vue fonctionnel des objets de savoirs et des connaissances impliquées (amener l'élève à s'engager dans la situation d'aide aux devoirs et à « en tirer profit »). Il relève d'un schéma épistémologique (partagé avec d'autres dispositifs) que Chevallard (2004) désigne par « parcours d'étude et de recherche », qui fait du questionnement hors d'un cadrage disciplinaire unique et de l'enquête des processus centraux (d'enseignement et d'apprentissage) dans une dynamique dépassant les situations scolaires habituelles. Le défi que pose alors de tels systèmes didactiques (aux enseignants et aux élèves) est, d'une part, de spécifier la question centrale d'étude (une consigne en particulier) et les questions cruciales composantes et, d'autre part, de cheminer pour construire une réponse pertinente en contrôlant les ignorances[2]. Pour ce faire, le recours à des réponses (contenus disciplinaires ou non) en lien avec le cours en classe, moyennant critique, reconstruction, voire déconstruction, est essentiel.

Si ce double défi constitue un vrai enjeu de compréhension pour les didacticiens, l'usage que les enseignants font des acquis de chaque situation est également une question cruciale qui nécessite des études complémentaires. Sans préjuger de son caractère principal ou auxiliaire, qu'est-ce que l'enseignant fait de ce qui se construit dans DeFa et qu'est-ce que l'intervenant dans DeFa fait de ce qui se construit en classe ? Dans une perspective de référence réciproque entre classe et DeFa, qu'est-ce que la situation DeFa permet d'inventer comme nouveaux rapports aux contenus et quelles sont les conditions de possibilité de leurs « transfert » en classe ?

Références

Chevallard Y. (2004). Vers une didactique de la codisciplinarité Notes sur une nouvelle épistémologie scolaire. IUFM d'Aix-Marseille & UMR ADEF.

Johsua, S. et Félix, C. (2002), Le travail à la maison : une analyse didactique en termes de Milieu pour l'étude. Revue Française de Pédagogie, 141, 89-97.

Lenoir Y. (2009). L'intervention éducative, un construit théorique pour analyser les pratiques d'enseignement. Les nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 12, n° 1, p. 9-29.

Martinand J.-L. (1994). La didactique des sciences et de la technologie et la formation des enseignants. Aster, 19, 61-74.

Venturini P., Cappiello P. (2009). Comparaison des rapports aux savoirs de la physique et des SVT dans le cas d'élèves impliqués dans l'étude de ces disciplines. Revue française de pédagogie, 166, 48-58.

Zaid A. (2017). Élaborer, transmettre et construire des contenus. Perspective didactique des dispositifs d'éducation et de formation en sciences et technologie. Rennes : Presses universitaires de Rennes.


[1] Prescrit depuis octobre 2017, « Devoirs Faits » est présenté par l'Education Nationale comme une mesure phare de la politique de lutte contre les inégalités scolaires. Il consiste en un accompagnement des collégiens pour réaliser leurs devoirs scolaires au sein de l'établissement. Voir présentation institutionnelle sous le lien : https://www.education.gouv.fr/devoirs-faits-un-temps-d-etude-accompagnee-pour-realiser-les-devoirs-7337.

[2] Johsua et Félixe (2002) modélisent le processus d'enseignement comme suit : « le maître va proposer un milieu en partie nouveau (même si les éléments pérennes restent très largement dominants en nombre et en qualité), lequel comprend donc, en théorie, les ignorances que l'on veut faire travailler. Pour cela il sera souvent important de laisser des ‘'trous'' en dehors du milieu. Autrement dit, il est au moins aussi important de laisser certaines ignorances potentielles hors du milieu, que de proposer les ‘'bonnes'' ignorances dans le milieu. »


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