Communications par auteur.e > Naudet Cédric

L'enseignement de la complexité dans la géographie scolaire : l'exemple du changement climatique
Cédric Naudet  1@  , Eliane Perrin  2@  
1 : Laboratoire de Didactique André Revuz
Université de Paris : EA_4434
Université Paris Diderot, bât. Sophie Germain, place Aurélie Nemours, 8e étage, case courrier 701875205 Paris cedex 13​Université Paris Diderot - UFR de physique –Bâtiment Condorcet - 8e étage - 4 rue Elsa Morante 75013 ParisUniversité Paris Diderot - UFR de mathématiques - Bâtiment Sophie Germain - 8e étage -Place Aurélie Nemours 75013 Paris -  France
2 : Laboratoire de Didactique André Revuz
Université de Paris : EA_4434

Le changement climatique est un défi majeur pour les sociétés, et en particulier pour les générations futures. Elles devront s'adapter à des conditions climatiques changeantes et à des événements extrêmes, pour lesquels des actions et des adaptations fortes seront (et sont déjà) nécessaires. Depuis 2018 et les grandes manifestations lancées par Greta Thunberg, un mouvement international de protestation des jeunes a émergé en faveur de l'action contre le changement climatique. Dans plusieurs villes européennes, des marches pour le climat ont été organisées, avec notamment 50 000 manifestants à Paris le 16 mars 2019. Il semblerait donc que l'on assiste à une prise de conscience massive des jeunes générations. Pour autant, des enquêtes récentes ont permis d'objectiver l'état des connaissances et de l'investissement des jeunes à propos des questions environnementales. Elles ont montré que, même s'ils étaient sensibilisés à ces problématiques, leur niveau d'analyse des phénomènes climatiques et leur capacité d'abstraction pour comprendre les enjeux environnementaux restent faibles (REFEDD, 2020 ; APED, 2019 ; CREDOC, 2019).

Dès lors, il apparaît fondamental de questionner les situations d'enseignement-apprentissage qui ont pour objectif de sensibiliser les jeunes aux conséquences du changement climatique. L'enseignement de la géographie a clairement pris en charge ces enjeux dans les finalités qu'il se donne dans les programmes récents, notamment par le biais des « éducations à... » (Barthes et al., 2017). Ces dernières ont pris de l'ampleur depuis les années 1980, dans le contexte d'une globalisation accélérée et dans l'objectif de prendre en charge les grands enjeux et les défis qui ne peuvent être appréhendés que globalement.

Pour autant, l'enseignement de la géographie permet-il aux jeunes d'appréhender la complexité des jeux d'acteurs et les causalités systémiques à l'œuvre avec le changement climatique ? Les démarches permettent-elles aux élèves de s'approprier les moyens de déchiffrer les interactions complexes du changement climatique et mettent-elles en relation les nombreux facteurs, tout en soulevant des enjeux politiques et éthiques référés à des systèmes de valeurs ?

Notre enquête est menée auprès de deux établissements, un collège de province et un lycée de la banlieue parisienne. Dans les deux établissements, un questionnaire a permis d'appréhender les savoirs « déjà-là » des élèves sur l'enseignement de la question environnementale en géographie. Quatre classes de troisième et deux classes de seconde ont été interrogées sur leurs représentations du changement climatique, l'origine de leurs connaissances sur ce sujet (école, médias, famille ou autres), sur ce qui leur paraît important sur les questions environnementales et ce qu'ils auraient aimé apprendre ou comprendre sur ce point. Les élèves de lycée devaient également décrire un cours considéré pour eux comme marquant et les ayant fait bouger sur la compréhension de ces questions.

Nos résultats mettent en évidence une grande hétérogénéité dans l'appréhension des élèves des questions climatiques, renforcée par la confusion des termes employés dans le prescrit (Perrin, 2018). L'utilisation de la géographie spontanée (Retaillé, 1997) des élèves – forgée dans l'expérience personnelle – apparaît être un levier vers une géographie raisonnée – manipulant des notions et des concepts abstraits et complexes (Hertig, 2018). Notre hypothèse, théoriquement ancrée dans les écrits de Vygotski (1934/1997), consiste à penser que l'abstraction peut être facilitée par un mouvement dialectique entre les deux parties constitutives du concept, le quotidien (ou spontané), forgé dans l'expérience singulière et pratique de l'enfant, et le scientifique, formé dans l'expérience scolaire et renvoyant à une formulation scientifique, générale et abstraite. Il apparaît cependant nécessaire d'organiser dans le scénario didactique un temps de réflexion métacognitif pour encadrer le pont d'explicitation entre la géographie spontanée et la géographie raisonnée (Barth, 2019), et, se faisant, de s'approprier les outils intellectuels dont ils ont besoin pour penser la complexité de la situation (Morin & Hertig, 2017).

Les démarches de géographie expérientielle (Leininger-Frézal, 2019), développée par le groupe pensée spatiale de l'IREM de l'Université Paris-Cité permettent de mettre en œuvre ce lien. Un exemple de scénario, mobilisant l'exemple de la pénurie d'eau en Isère, permet de mobiliser des savoirs du quotidien au profit d'une réflexion sur la complexité des chaînes d'acteurs impliqués dans la situation géographique étudiée. L'enquête sur le vécu d'acteurs, conduite dans la phase préparatoire du débat, révèle une perception différente de la ressource en eau selon le type d'habitation (pavillonnaire ou collectif). Localement, le changement climatique est ainsi décliné en fonction les usagers. L'intérêt de ce travail est de faire prendre conscience aux apprenants la pluralité d'aspects du phénomène géographique étudié. En début et en fin de séquence, un bilan de savoirs permet de mesurer les acquis notionnels. Les élèves devaient citer des mots qui évoquent pour eux le changement climatique. Le constat établit un enrichissement cognitif entre les deux étapes et une analyse approfondie permet d'explorer la manière dont ils ont compris le sujet.

Références :

APED (2019). École, savoirs, climat, Enquête sur les connaissances et la conscientisation des élèves de fin d'enseignement secondaire, à propos du dérèglement climatique. APED. https://www.skolo.org/CM/wp-content/uploads/2019/10/Ecole-savoirs-climat-Aped-2019.pdf.

Barth, B.-M. (2019). Chapitre 8. Jerome Seymour Bruner et l'orientation culturelle de la psychologie cognitive: In Psychologies pour la formation (p. 139‑155). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.carre.2019.02.0139

Barthes, A., Lange, J.-M., & Tutiaux-Guillon, N. (Éds.). (2017). Dictionnaire critique des enjeux et concepts des « éducations à ». L'Harmattan.

CREDOC (2019). Environnement, les jeunes ont de fortes inquiétudes pour le climat mail leurs comportement restent consuméristes, CREDOC. https://www.credoc.fr/publications/environnement-les-jeunes-ont-de-fortes-inquietudes-mais-leurs-comportements-restent-consumeristes.

Hertig, P. (2018), Géographie scolaire et pensée de la complexité. L'information géographique, 82 (3), 99-114.

Leininger-Frézal, C. (2019). Apprendre la géographie par l'expérience : La géographie expérientielle [Habilitation à diriger des recherches]. Caen Normandie.

Morin, O. & Hertig Ph. (2017) Complexité et "éducations à". Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à..., L'harmattan, pp.65-73.

Perrin, E. (2018). Le changement global et ses principaux effets géographiques régionaux en classe de cinquième. Mémoire de recherche Master 2ème année didactique de l'histoire-géographie, dir. C. Leininger, Université de Paris.

Retaillé, D. (1997). Le monde du géographe. Presses de Sciences Po.

REFEDD (2020). Les étudiants face aux enjeux environnementaux, Synthèse des résultats de la CNE2020, REFEDD. https://le-reses.org/wp-content/uploads/2021/05/2-SYNTHESE_CNE2020_REFEDD-1.pdf

Vygotski, L. S. (1934/1997). Pensée et langage (3. ed). La Dispute.



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