Communications par auteur.e > Eltaief Maroua

Le principe méthodologique de l'actualisme et la construction de la formation des chaînes de montagnes de collision: Analyse épistémologico-langagière d'un débat en classe de Terminale scientifique
Maroua Eltaief  1@  
1 : Laboratoire d\'épistémologie et de didactiques des disciplines de Bordeaux  (Lab-E3D)
Université de Bordeaux

Introduction

Notre étude s'intéresse à la problématisation en sciences de la Terre. Elle vise à comprendre comment les élèves de terminale scientifique (17- 18 ans) peuvent mobiliser ou pas le principe méthodologique de l'actualisme dans la construction de la formation des chaînes de montagnes de collision (FCMC) lors d'un débat scientifique observé pendant une séquence ordinaire consacrée à l'étude de la formation des chaînes de montagnes. Ceci va nous aider à avoir des informations sur le potentiel de cette séquence ordinaire lorsqu'elle est traitée dans le cadre de la problématisation. Nous allons tout d'abord essayer de présenter la manière dans laquelle les chercheurs mobilisent le principe de l'actualisme dans leurs explications géologiques. Nous procéderons ensuite à une analyse épistémologico-langagière d'un extrait d'un débat qui a été mené pour étudier la formation des chaînes de montagnes de collision, afin de mieux comprendre comment les élèves ont pu ou pas mobiliser le principe méthodologique de l'actualisme dans la construction de ce phénomène géologique en situation de classe.

Le cadre théorique de l'étude

Notre recherche s'ancre dans le cadre théorique de l'apprentissage par problématisation en sciences de la Terre (Orange Ravachol, 2010) qui considère le savoir scientifique comme un savoir qui « ne peut en rien se limiter aux solutions des problèmes. C'est un savoir problématique et raisonné, dont l'épaisseur renvoie au travail des problèmes et à la construction argumentée des solutions » (ibid, p. 6-7). Selon cette approche rationaliste de l'activité scientifique, travailler les problèmes conduit à dégager des nécessités (des raisons) qui contraignent les solutions et leur donnent un caractère apodictique. Nous nous focalisons dans cette étude sur un constituant crucial du registre explicatif qui est mobilisé dans les problèmes des sciences de la Terre. Il s'agit du principe méthodologique de l'actualisme. Ce principe se base sur le fait que « le présent est la clef du passé, ou que les causes qui ont agi au long de l'histoire de la Terre ne différent point essentiellement des causes actuelles » (Gohau, 1997, p. 140). En s'inscrivant dans un cadre actualiste, les phénomènes à l'origine des changements géologiques passés (leurs causes géologiques) sont considérés comme existants auparavant et existent encore dans la nature actuelle (Orange Ravachol, 2003, p. 185). Dans ce cadre, nous précisons que lors de l'entretien mené avec Laurent Jolivet, professeur à Sorbonne université, il nous a indiqué que pour comprendre les chaînes de montagnes actives, les chercheurs font appel aux chaînes anciennes « parce que les chaînes anciennes montrent, des parties plus profondes qu'on peut pas observer dans les chaînes actives ». Il conclut en indiquant que les scientifiques font « des allers-retours entre le présent et le passé en utilisant toujours le principe de l'actualisme ».

Ces précisions épistémologiques vont nous aider à mieux comprendre comment les élèves ont pu ou pas mobiliser l'actualisme dans la construction de la formation des chaînes de montagnes de collision. Pour y parvenir, nous allons nous intéresser aux pratiques langagières des élèves et de l'enseignante en classe. En effet, nous pensons suite à Jaubert et Rebière (2001) que l'analyse langagière des élèves nous renseigne sur l'activité cognitive et par suite sur la problématisation.

Méthodologie

La séance de classe de SVT étudiée fait partie d'une séquence « ordinaire » de quatre séances, réalisée sous la responsabilité d'une professeure expérimentée et consacrée à l'étude de la formation des chaînes de montagnes. Le débat étudié a eu lieu durant la séance 2 lorsque l'enseignante a utilisé le document « Fiche de travail sur l'histoire des Alpes (avec l'épisode de subduction) » afin de représenter aux élèves le scénario de la formation de chaînes de montagnes de collision. Nous précisons à ce niveau, que dès le début de l'épisode l'enseignante présente le scenario de la FCMC sous forme d'un savoir solution (il s'agit d'un ensemble d'assertions décrivant la succession d'étapes entrainant la formation des chaînes de montagnes). Il est intéressant alors d'étudier les échanges langagiers en classe pour comprendre la réaction des élèves face à cette solution donnée et comment ils ont pu ou pas mobiliser l'actualisme dans la construction probable de la formation de chaînes de montagnes de collision. Dans notre analyse, nous ferons appel aux différentes opérations logico-discursives proposées par Grize (1996) en nous focalisant surtout sur les reprises-modifications qui vont nous aider à étudier le positionnement énonciatif opéré par les élèves et l'enseignante et de son évolution tout au long de l'épisode. C'est crucial pour comprendre les savoirs qui ont été construits ou non en classe.

 L'analyse épistémologico-langagière du débat en classe

L'épisode d'échanges langagiers analysé, montre à partir de l'affirmation émise par la professeure (PR) dans la réplique (R57) « Je vous ai [...] reconstitué l'histoire des Alpes [...] Vous avez d'abord l'ouverture de l'océan [...] ensuite, vous avez la deuxième image avec la subduction et puis à la fin, on a la collision [...] », que cette dernière a eu recours à une mise en histoire simple linéaire faîte de séquences qui s'enchaînent, pour expliquer la formation des Alpes. L'usage des connecteurs temporels « d'abord... ensuite... et puis » le prouve.

 Par la question posée en (R58) « Dans les océans actuels [...] Est-ce qu'il y a des montagnes qui se forment à ce moment ? », l'apprenant (APP) fait déplacer l'objet de discours de la reconstitution de l'histoire des Alpes vers l'orogenèse actuelle. Plus explicitement, par la question (R58), l'APP fait changer l'objet de discours du scénario des Alpes qui sont des chaînes de montagnes qui se sont formées au passé vers le scénario des chaînes de montagnes qui se forment au présent. L'utilisation de l'adjectif qui marque le moment présent « actuels » ainsi que le terme « à ce moment » qui accompagne la question « est ce qu'il y a des montagnes qui se forment » le montre. La réponse de la PR en (R59) à la question de l'APP posée en (R58) ne satisfait pas l'élève ce qui lui pousse à répéter sa question posée en (R58), tout en modifiant cette fois-ci « les océans actuels » (R58) par « au niveau continental » (R60) à partir duquel il cherche à comprendre s'il y a formation d'une montagne à l'état actuel.

Par la question posée en (R58) et (R60), nous pensons que l'élève met en relation le passé (la formation des Alpes) et le présent (l'orogenèse actuelle) afin de comprendre le phénomène de la formation de chaînes de montagnes de collision . Nous pensons qu'il projette ici le scenario de la formation des Alpes (présenté par l'enseignante) dans le présent tout en essayant de discuter la vraisemblance de ce scenario à l'état actuel. A travers la formulation de « dans les océans actuels, au niveau des dorsales, fin, les reliefs sous-marins » (R59), il nous paraît que la PR se situe sous la mer et elle parle par suite de la formation des chaînes de montagnes sous marines. La réponse de la PR en (R61) « Oui, c'est possible. Vous pouvez avoir effectivement la fermeture des océans. Une fois que la croûte soit très vieille, elle subduit et vous pouvez avoir une collision et formation d'une chaîne de montagne à ce moment-là » à la question de l'AP posée en (R58), montre l'absence de prise en compte du monde dans lequel l'élève se positionne (où il établit une relation entre le passé et le présent), malgré l'usage des adverbes « oui » et « effectivement » qui marquent la validation du propos de l'élève « Est-ce qu'il y a des montagnes qui se forment à ce moment ? » 

Conclusion

L'analyse menée dans cette étude a permis de faire émerger un certain potentiel de la séance ordinaire étudiée dans le cadre de la problématisation. En effet, face au savoir solution donné par l'enseignante l'élève a réussi, à travers les questions posées en (R58) et (R60) à s'ouvrir vers des préoccupations géologiques fortes : il a pu faire le lien entre le passé et le présent pour comprendre la formation des chaînes de montagnes de collision. Ces questionnements ont été posés avant par les chercheurs et les ont conduits à mettre en jeu le principe de l'actualisme. Les interrogations de l'élève présentent pour nous des amorces possibles pour le développement d'une activité de problématisation.

 

Bibliographie

Gohau, G. (1997). « Naissance de la méthode "actualiste" en géologie ». In Gohau, G. De la géologie à son histoire, CTHS, pp. 139-149.

Grize, J.-B. (1996). Logique naturelle et communication. Paris : PUF.

Jaubert, M & Rebière, M. (2001). Pratiques de reformulation et construction de savoir. Aster, n° 31, p.81-110.

Orange Ravachol, D. (2003). Utilisation du temps et explications en sciences de la Terre par les élèves de lycée : étude dans quelques problèmes géologiques. Thèse de doctorat non publiée, université de Nantes, Nantes.

 Orange-Ravachol, D. (2010). Problématisation fonctionnaliste et historique dans la construction de savoirs et les apprentissages en sciences de la terre et de la vie. Entre continuité phénoménale et discontinuité événementielle [Mémoire de recherche pour l'HDR]. Université de Nantes

 

 



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