Dans cette communication, nous analyserons les écarts en didactique des arts entre les pratiques effectives des enseignant.es au primaire et la formation des enseignant.es de l'Université de Genève. En effet, dans l'enseignement des arts, les obstacles didactiques sont prépondérants, notamment dans la représentation de la discipline qui peut être très disparate selon les contextes, incitant les chercheurs à tenter de poser un cadre épistémologique commun, tel que Lagoutte (1991), Gaillot (1997) ou plus récemment Fabre (2015) et Espinassy (2018). Ces études ont enrichi la perception de la discipline, en posant les fondements de l'enseignement des arts et les savoirs correspondants. Nous nous sommes éloignés de l'enseignement du dessin par la copie et la géométrie pour s'installer dans les arts plastiques et visuels en soulignant le processus créatif et la dimension culturelle par la rencontre avec les œuvres (Chabanne, Parayre et Villagordo (2012), Mili et Rickenmann (2005)). Néanmoins, Fabre a mis en évidence des tensions épistémologiques persistantes dans les arts plastiques pour définir une matrice de la discipline, qui se manifestent dans la difficulté de saisir des enjeux didactiques (2015, p. 41). On distingue alors, selon les compétences des enseignant.es, des séquences portées vers la technique, des reproductions, à la manière de, ou en lien avec des objets culturels de références. Les étudiant.es en formation à l'Université de Genève se confrontent ainsi à une diversité de pratiques selon les Formateurs de Terrains (Fts) durant leur temps de stage, qui ne coïncident pas toujours avec les objectifs soulevés durant la formation universitaire. Si l'accent est posé sur les savoirs spécifiques aux arts, selon les prescrits du PER (2010), à assurer durant leurs enseignements, ils ont tendance à observer des leçons qui se perpétuent d'élèves à enseignants, telles que les bricolages pour les festivités sans enjeux disciplinaires. Pour saisir ces écarts entre les pratiques des FTs et les transformations des savoirs et curriculum en arts, nous travaillons avec les futur.es enseignant.es autour des obstacles épistémologiques, didactiques et d'apprentissages afin de les rendre visible et les réguler voire les dépasser comme le préconise Brousseau (2004). La notion d'obstacle a fait l'objet de diverses études dans les sciences de l'éducation et en didactique (Astolfi, 1992 ; Peterfalvi, 1997 ; Brousseau, 2004 ; Martinand, 1995, Clivaz et al., 2015 ; Balslev et al., 2022 ; entre autres), et reste un concept clé pour la compréhension des enseignements et des apprentissages en arts. Discipline habitée par des représentations, les obstacles en deviennent communs, souvent implicites ou invisibles.
Cette étude s'élabore à partir d'une recherche initiale qui nourrit le dispositif de formation des enseignants en didactique des arts. Elle correspond à une investigation réalisée dans des écoles primaires à Genève en Suisse, pour appréhender les pratiques ordinaires des enseignant.es et analyser la manière dont s'élaborent les apprentissages dans cette discipline. La méthodologie employée est l'approche clinique (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2002), afin de comprendre les systèmes didactiques et l'épistémologie pratique des enseignant.es (Amade-Escot, 2014). Notre corpus est constitué de quatre enseignantes expérimentées en école primaire, à travers une observation de séquences en arts, des enregistrements vidéo des leçons durant deux à six périodes pour chaque classe, ainsi que des entretiens semi-directifs avec les enseignantes. Dans le cadre de cette étude autour des obstacles, nous nous centrons sur le discours des enseignantes au travers des entretiens semi-directifs. Ils ont été réalisés au préalable et a posteriori à l'observation filmée afin d'approfondir sur leurs intentions a priori et leur regard une fois l'activité passée. Nous avons privilégié des questions sur l'organisation des séquences, les situations et difficultés anticipées, les modes de réguler et d'accompagner les élèves dans les apprentissages, ainsi que les savoirs attendus des séquences. Nous avons sélectionné des verbatims pour rendre compte des obstacles présents dans les discours des enseignant.es et pour les étudiant.es en formation durant le temps de terrain, à partir du cadre théorique de Brousseau (2004). Celui-ci distingue trois types d'obstacles : les obstacles ontogéniques qui font référence aux limitations du sujet selon son développement ; les obstacles d'origine didactique qui correspondent aux apprentissages spécifiques selon un projet ou un système éducatif ; les obstacles d'origine épistémologique qui renvoient à l'histoire des concepts et des savoirs. Les obstacles didactiques touchent ainsi les aspects de préparation, anticipation, organisation et déroulement d'une classe avec les savoirs prévus. Ils rejoignent les obstacles épistémologiques dans l'acte de connaître et donc de proposer une séquence selon des savoirs visés. Ces obstacles sont plutôt présents en début de carrière des enseignant.es, comme le signale Clivaz et al. (2015), mais aussi surgissent du côté des élèves dans leur processus d'apprentissage. Ces résistances, révélatrices de difficultés, sont considérées comme des opportunités de générer de la circulation des savoirs (Clivaz et al., 2015, p. 102). Martinand (1995) avait développé une approche de la notion d'objectif-obstacle, où il propose d'utiliser la caractérisation des obstacles comme un mode de sélection des objectifs, en mettant en tension l'objectif (objets d'enseignements) avec ce qui est « déjà là ».
Dès lors, ponctuer les discours des enseignant.es dans la formation s'avère essentiel, afin de mettre en avant leurs pratiques déclarées en lien avec leurs pratiques effectives en didactique des arts. Les écarts dans la réalisation du curriculum par rapport au prescrit se détachent, entre leurs intentions, la mise en place des séquences et les apprentissages effectifs des élèves, nous invitant à réfléchir aux possibles remédiations ou franchissements (Brousseau 2004). Travailler sur les obstacles permet de souligner les savoirs des enseignant.es avec les conceptions présentes et les connaissances plurielles qu'ils mobilisent dans la pratique (Tardif et Lessard, 1999, p. 367). Les repérer met en évidence que les enseignant.es n'appliquent pas directement les savoirs de la formation dans leur pratique, bien au contraire, leur approche comporte leur croyance, les postulats et les expériences qui rendent difficile la rupture avec les pratiques antérieures. Signaler les écarts entre intentions et pratiques effectives au travers des obstacles, donne à voir des pistes possibles de franchissements pour éviter la reproduction des pratiques observées ou vécues et inciter à essayer des approches renouvelées centrées sur les savoirs en arts en accord avec le curriculum prescrit. Dès lors, établir des liens entre ce qui se vit sur le terrain et proposer des dispositifs qui questionnent les dimensions didactiques d'une discipline associés aux difficultés vécues dans le contexte scolaire, permet de mieux appréhender leur future pratique tout en enrichissant leur compréhension de ces enseignements.
Bibliographie :
Amade-Escot, C. (2014). De la nécessité d'une observation didactique pour accéder à l'épistémologie pratique des professeurs. In Recherches en éducation, 19 | 2014.
Astolfi, J.-P. (1992). Apprendre par franchissement d'obstacles ? Dans Romian H., Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, 5, p. 103-116.
Baslev, K., Bulea Bronckart, E., Laurens, V., Nicolas, L. (2022). Les obstacles dans l'enseignement des langues et dans la formation des enseignants. Lambert Lucas.
Brousseau, G. (2004). Théorie des situations didactiques. La pensée sauvage éditions.
Chabanne, J. C., Parayre, M., Villagordo, E. (2012). La rencontre avec l'oeuvre : éprouver, pratiquer, enseigner les arts et la culture : Actes des journées d'études scientifiques JEPEAC, Perpignan, 29-31 octobre 2009. Paris, L'Harmattan.
Fabre, S. (2015). Didactique des arts plastiques : la question de la matrice disciplinaire. Dans Recherches en didactiques 1 (N° 19), p. 39 à 50.
Gaillot, B.A. (1997). Arts plastiques ; éléments d'une didactique critique. PUF, coll. Éducation et formation.
Lagoutte, D. (1991). Enseigner les arts plastiques. Paris : Hachette.
Martinand, J.-L. (1995). La référence et l'obstacle. Dans Perspectives documentaires en éducation, 34, p. 7-22.
Mili, I. & Rickenmann, R. (2005). La réception des œuvres d'art : une nouvelle perspective didactique. Revue suisse des sciences de l'éducation, 22(3) - pp. 431-452.
Peterfalvi, B. (1997). Les obstacles et leur prise en compte didactique. In Aster N° 24. Obstacles : travail didactique, INRP.
Tardif, M. & Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. De Boeck.