La problématisation dans les programmes québécois d'histoire au secondaire
Vincent Boutonnet  1@  
1 : Université du Québec en Outaouais  (UQO)

i) Axe du colloque

La présentation s'inscrit dans l'axe 2 relatif aux pratiques d'enseignement. La problématisation en histoire est une démarche d'investigation à partir de documents et de savoirs historiques pour engager les élèves du secondaire à réfléchir sur le passé et à exercer des opérations cognitives propres à la pratique historienne (Doussot, 2017). Cet objet d'enseignement est fondamental dans la pratique historienne et se retrouve dans les documents curriculaires à divers degrés.

Notre étude est exploratoire et propose une analyse curriculaire comparative des trois programmes québécois d'histoire au secondaire afin d'identifier les finalités et les objets d'enseignement relatifs à la problématisation. Ces attentes curriculaires pourraient induire une variété de pratiques d'enseignement (Boutonnet, 2015, 2018) qui s'appuient sur des postures épistémologiques distinctes.

 ii) Cadre théorique, problématique, méthodes

La recherche en didactique de l'histoire identifie au moins trois postures épistémologiques autant chez des élèves que des enseignants : (1) réaliste; (2) relativiste et (3) critérialiste (Demers, 2012; Nokes, 2014; Maggioni et coll., 2009).

La posture réaliste appréhende le passé comme une réalité figée et univoque à mémoriser. Il s'agit d'apprendre un récit historique prédéterminé et peu remis en cause. La posture relativiste accepte une variabilité dans les récits, y compris des récits contradictoires, mais vise tout de même à identifier un seul et « bon » récit à apprendre. La posture critérialiste s'appuie sur une démarche d'investigation du passé en tentant d'identifier des preuves ou des critères pour construire et critiquer les récits historiques sur le passé. Cette posture se veut plus proche de la pratique historienne qui vise à répondre de manière critique à une question ou à un problème historique et présente donc des liens évidents avec la problématisation.

Ces postures induiraient différentes pratiques (Boutonnet, 2015, 2018), sans oublier que le curriculum prescrit ne se transpose pas automatiquement dans les pratiques effectives (Jonnaert, 2011). En outre, plusieurs vocables sont utilisés dans les documents curriculaires pour référer à la problématisation en histoire, ce qui accentue la variabilité des pratiques d'enseignement : démarche de recherche, problème, situation-problème, etc.

La démarche de recherche implique une séquence linéaire d'enquête en partant d'une question de recherche historique et aboutissant à la communication d'une interprétation (Jadoulle, 2015). Le problème historique tente de reproduire les conditions de construction du savoir par des historiens, autrement dit à modeler une démarche authentique comme si des historiens avaient résolu certains problèmes historiques (Doussot, 2017). La situation-problème est un vocable moins courant. Celle-ci se déploie à partir de l'identification d'un problème qui se situe bien souvent au niveau d'obstacles épistémologiques, notamment en lien avec des représentations sociales qui génèrent une nécessité de résoudre le problème historique (Dalongeville et Huber, 2001). Bien que ces vocables s'appuient sur des fondements théoriques différents, ils ont pour point commun le déploiement d'une démarche d'investigation au travers d'une question ou d'un problème en analysant des sources historiques ou des documents variés de manière critique et étayée.

Considérant cette variabilité possible des pratiques et la confusion possible entre différentes approches de la problématisation en histoire, il nous apparait essentiel d'analyser sur deux niveaux le curriculum prescrit afin de mieux comprendre ce qui pourrait se transposer dans les pratiques effectives.

Premièrement, notre analyse curriculaire est lexicométrique afin d'identifier la fréquence de ces vocables dans les trois documents curriculaires : (1) Programme de formation qui prescrit les compétences disciplinaires et les thèmes d'étude, (2) la Progression des apprentissages qui identifie les savoirs essentiels à enseigner pour chaque thème et (3) le Cadre d'évaluation qui précise les critères d'évaluation relatifs aux compétences et aux savoirs disciplinaires. Ces trois types de documents existent pour chaque programme d'histoire : Histoire et éducation à la citoyenneté (HEC); Histoire du Québec et du Canada (HQC); Histoire du 20e siècle (H20 e).

Deuxièmement, notre analyse est didactique et thématique, car identifier la fréquence des vocables n'indique que la présence de ces vocables. En effet, il s'agit aussi d'analyser comment ces vocables se déploient dans les textes curriculaires et comment ils s'apparentent à des objets d'enseignement explicites. Autrement dit, au-delà de la simple mention des vocables, il importe d'explorer comment les attentes curriculaires sont présentées et conçues pour l'enseignement. En prenant en compte les approches possibles de la problématisation, nous associons les vocables identifiés avec les postures épistémologiques afin de mieux cerner la complexité de la problématisation attendue.

iii) Résultats

Notre étude montre une appropriation variable de la problématisation dans les programmes d'histoire québécois au secondaire. Il faut d'abord souligner une certaine incohérence entre les trois documents curriculaires dont disposent les enseignants pour chaque programme. En particulier, le Programme est le seul document à aborder la notion de démarche d'investigation ou de problématisation. La Progression des apprentissages est silencieuse sur les questions ou les problèmes possibles alors que le Cadre d'évaluation n'identifie que des dimensions minimalistes pour évaluer la problématisation. En outre, il existe également un traitement différencié de la problématisation entre les trois Programmes à l'étude qui est probablement induit par une élaboration distincte par une équipe de rédaction pour une année d'implantation différente (2006 pour HEC, 2018 pour HQC et 2014 pour H20e). Notamment, le programme HEC s'appuie essentiellement sur la démarche de recherche en tentant de favoriser les liens entre le passé et le présent alors que le programme HQC se concentre sur la compréhension d'un récit structuré qui peut se passer d'une démarche de recherche. De manière générale, ces incohérences présentent une alternance entre une posture épistémologique réaliste très présente et une posture critérialiste peu présente. Notre recherche soulève le problème des attentes curriculaires qui sont confuses ou floues. Cela pourrait conduire à une appropriation variable de ces approches et induire des pratiques d'enseignement effectives.

Cette étude est exploratoire et ne représente qu'une première étape. Nous souhaitons poursuivre les travaux par une analyse comparative d'autres curriculums entre les provinces canadiennes afin de mesurer l'importance de la problématisation dans les attentes prescrites. Enfin, il sera pertinent de poursuivre par l'observation des pratiques d'enseignement. Ces pistes de réflexion nous semblent pertinentes, car elles mettent également en évidence les apprentissages possibles des élèves.

Références bibliographiques :

Boutonnet, V. (2015). Typologie des usages des ressources didactiques par des enseignants d'histoire au secondaire du Québec. Revue Canadienne de l'Éducation, 38(1), 1-24.

Boutonnet, V. (2018). Usages et fonctions du matériel didactique : pratiques déclarées d'enseignants et de futurs enseignants d'histoire au secondaire Formation et Profession – revue scientifique internationale en éducation, 26(2), 3-17.

Dalongeville, A. et Huber, M. (2000). (Se) former par les situations-problèmes : des déstabilisations constructives. Lyon: Chronique sociale.

Demers, S. (2012). Relations entre le cadre normatif et les dimensions téléologique, épistémologique et praxéologique des pratiques d'enseignants d'histoire et éducation à la citoyenneté : étude multicas. (Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal).

Doussot, S. (2017). Modélisation des problématisations historiques en classe et chez les historiens. Recherches en Éducation, 29, 22-37.

Jadoulle, J.-L. (2015). Faire apprendre l'histoire. Pratiques et fondements d'une "didactique de l'enquête" en classe du secondaire. Namur: Érasme.

Jonnaert, P. (2011). Curriculum, entre modèle rationnel et irrationalité des sociétés. Revue Internationale d'éducation de Sevres, 56, 135-145

Maggioni, L., VanSledright, B. A. et Alexander, P. A. (2009). Walking on the Borders: A Measure of Epistemic Cognition in History. The Journal of Experimental Education, 77(3), 187-213.

Nokes, J. D. (2014). Elementary Students' Roles and Epistemic Stances During Document-Based History Lessons. Theory & Research in Social Education Canada, 42(3), 375-413.



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