Si la discipline académique et les savoirs savants sont bien identifiables pour le droit, l'enseignement du droit à l'école secondaire en Suisse romande révèle toutefois une discipline scolaire aux contours pour le moins flous. En effet, à l'exception du canton de Genève, le droit n'est pas considéré comme une discipline à part entière à l'école : il est enseigné conjointement avec l'économie et forme avec cette dernière une discipline scolaire hybride, l'« économie-droit ». Toutefois, dans les institutions romandes de formation des enseignant·e·s, la didactique du droit est devenue, depuis quelques années, une didactique autonome, séparée de celle de l'économie. Mais la didactique du droit en est encore à ses balbutiements. Depuis la thèse de François Robert en 1998, très peu de recherches ont été menées dans ce domaine et les publications sont rares. Pour nous aider à combler ces lacunes propres à la didactique du droit, nous devrons nous référer aux réflexions théoriques déjà nombreuses sur la construction des champs disciplinaires des didactiques.
Les curriculums ont certes évolué et les plans d'études du secondaire supérieur romand sont actuellement en pleine mutation, mais la place du droit demeure, à notre avis, ambigüe. Encore associé à l'économie, le droit peine à trouver une identité claire en tant que discipline scolaire. De plus, les contenus disciplinaires proposés ne semblent pas toujours en adéquation avec les finalités de l'enseignement des sciences humaines et les compétences que l'on souhaite développer chez les élèves. Ainsi, alors que la compréhension du monde dans lequel on vit semble être une priorité, l'apport de l'enseignement du droit mérite d'être mieux mis en évidence et explicité.
Nous pensons que, pour faciliter l'accès à des cultures partagées afin d'appréhender la complexité du monde actuel, il est tout d'abord nécessaire de mieux déterminer le droit en tant que discipline scolaire, de renforcer en quelque sorte la « disciplinarité » de ce droit enseigné à l'école secondaire. Lorsque l'organisation disciplinaire des savoirs juridiques sera précisée et réévaluée en fonction des finalités choisies de l'enseignement, il semble que l'apprentissage du droit pourra ensuite effectivement contribuer à une forme d'émancipation des perspectives disciplinaires. Ce n'est qu'après avoir cerné correctement les modalités de la pensée juridique et les outils spécifiques du juriste que l'apprentissage du droit apportera une réelle plus-value aux élèves pour la compréhension globale de la complexité de notre quotidien.
Ainsi, nous souhaitons questionner les plans d'études officiels des différentes filières de formation du secondaire supérieur en Suisse romande afin de déterminer, d'une part, la place et le rôle attribué à l'enseignement du droit, puis, d'autre part, son apport potentiel dans un dépassement de cette organisation disciplinaire. Notre démarche s'inscrit ainsi plus particulièrement dans le premier axe de travail du colloque. Si l'ordre juridique d'un État est significatif pour mettre en œuvre les systèmes de normes et de valeurs de ce dernier, il semble intéressant d'étudier ce que les curriculums proposent pour l'enseignement à l'école de cet ordre juridique en faisant référence, ou non, à ces mêmes valeurs. De même, si l'on reconnait aisément que le droit apparait dans tous les aspects de notre vie sociale et privée, il semble pertinent de voir si cette omniprésence du droit se vérifie dans les curriculums et facilite un rapprochement, voire un décloisonnement, des disciplines scolaires. Le moment semble opportun pour une telle analyse. En effet, un nouveau plan d'études cadre pour les Écoles de Culture Générales est entré en vigueur en août 2019 et ces écoles sont en train d'adopter progressivement ces changements ; la formation professionnelle initiale vit actuellement une refonte complète de ses plans d'études ; et un nouveau plan d'études cadre pour les Écoles de Maturité est aujourd'hui mis en consultation.
En analysant ces plans d'études, nous espérons, dans un premier temps, pouvoir déterminer la conception du droit en tant que discipline scolaire dans le contexte de la Suisse romande. Nous faisons l'hypothèse que ce droit n'est pas conçu de manière optimale par rapport aux finalités de l'enseignement des branches des sciences humaines ; le droit nous semble toujours cantonné à quelques éléments de droit privé et de droit commercial, comme pour servir l'économie qui garde la mainmise sur la discipline « économie-droit ». Dans un deuxième temps, nous souhaitons mettre en évidence certains objets de savoirs disciplinaires en droit, explicitement ou implicitement énoncés dans les curriculums, qui devraient permettre la construction de cultures partagées pour appréhender la complexité du monde actuel. Nous faisons ici l'hypothèse que la maitrise, par les élèves, des principaux raisonnements juridiques, de la démarche de recherche dans les sources du droit, de la méthode d'application des règles, ou de la critique des normes en vigueur, favorise concrètement les démarches d'investigation en général, le développement de l'esprit critique ou le traitement des questions sociales vives en classe. Nous tenterons de le démontrer en expliquant comment les outils et les raisonnements propres au droit se rapprochent de ceux, recommandés par la littérature spécialisée, qui favorisent le développement des compétences nécessaires pour entrer dans la complexité du monde.
Références bibliographiques :
Eickelberg, J. (2017). Didaktik für Juristen : Wissensvermittlung - Präsentationstechnik - Rhetorik. Verlag Franz Vahlen.
Foglia, A. (2003). Quale didattica per quale diritto? : Una proposta tra teoria generale e didattica del diritto. Casagrande.
Robert, F. (1998). Essai sur les variables de la didactique du droit et leurs significations sociales et politiques. Université de Lyon 2.
Robert, F. (1999). Enseigner le droit à l'école. ESF.
Roduit, G. (2007). Le droit dans l'éducation à la citoyenneté : Des savoirs de référence au plan d'études et aux dispositifs de formation des enseignants pour le secondaire I vaudois. HEP Vaud, Lausanne.
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