Jeu symbolique et langage oral à la maternelle dans les programmes français et québécois : comparaisons de pratiques enseignantes issues de recherches collaboratives
Christian Dumais  1, 2, 3, 4, 5@  , Hélène Castany-Owhadi  6@  , Raymond Nolin  7, 8, 9, 10@  
1 : Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante  (CRIFPE)
2 : Laboratoire universitaire de recherche et de formation en didactique du français  (LUDIF)
3 : Équipe de recherche en littératie et inclusion  (ÉRLI)
4 : Université du Québec à Trois-Rivières
3351, boulevard des Forges, Trois-Rivières (Québec) CANADA G8Z 4M3 -  Canada
5 : Réussite éducative et pédagogie inclusive (RÉPI)
6 : Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Éducation et Formation
Université Paul Valéry - Montpellier III
7 : équipe de recherche Réussite éducative et pédagogie inclusive (RÉPI)
8 : Équipe de recherche en littératie et inclusion  (ÉRLI)
9 : Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante
10 : Université du Québec à Trois-Rivières

Selon Vygotsky (1966), le jeu est un facteur de base du développement. Pour Bruner (1986, p. 90), il « donne à l'enfant une première possibilité absolument déterminante d'avoir le courage de penser, de parler et peut-être d'être vraiment lui-même ». Des recherches mettent d'ailleurs en évidence que le jeu symbolique (ou jeu de faire semblant) favorise le développement du langage oral en maternelle ainsi que les compétences sociales (entre autres Bodrova et Leong, 2012). Bodrova et Leong (2012) ainsi que Michel-Chevalley et Clerc-Georgy (2020) font valoir l'importance de l'étayage (en référence à Bruner, 1983) de l'enseignant-e pour favoriser le jeu mature et Marinova (2014) affirme que l'étayage de l'enseignant-e consiste entre autres à intervenir pour soutenir les schémas de substitution, de comportement de rôle et de scénario commun du jeu. En effet, « pour évoluer dans le jeu, pour permettre le développement du langage oral, les enfants ont besoin de l'étayage de l'enseignant-e » (Dumais et Plessis-Bélair, 2017, p. 177). Actuellement, ces interventions de la part de l'enseignant-e seraient peu présentes dans les classes de maternelle (Bodrova et Leong, 2012; Bouchard et al., 2020). Cela pourrait s'expliquer entre autres en raison du temps consacré au jeu qui tend à diminuer au profit d'activités plus dirigées que l'enseignant-e tente de garder ludiques (Marinova et al., 2020). De plus, pour plusieurs enseignants-es, la valeur du jeu pour l'apprentissage et le développement de l'enfant est méconnue ou sous-estimée (Dumais et Plessis-Bélair, 2017; Bouchard et al., 2020). Par manque d'intérêt, de connaissances ou de temps, peu d'étayage est fait par les enseignants-es (Bodrova et Leong, 2012) et souvent ils et elles s'interrogent sur les interventions à privilégier auprès des enfants (Bouchard et al. 2020). Des recherches s'avèrent nécessaires à travers la francophonie pour mieux comprendre la réalité du travail enseignant à la maternelle ainsi que les pratiques enseignantes en lien avec le jeu et le langage oral, et ce, dans un contexte où ces deux derniers éléments occupent une place variable selon les modes d'organisation des savoirs et des évolutions curriculaires (Dumais et Plessis-Bélair, 2017).

Au cours des dernières années, d'importants changements et ajustements ont eu lieu dans les programmes de l'école maternelle en France et au Québec. Entre autres, au Québec, la place du jeu a été réaffirmée comme élément central du programme-cycle de l'école maternelle, l'enfant jouant pour apprendre (Ministère de l'Éducation du Québec, 2021) alors qu'en France l'enfant apprend en jouant à travers le jeu structuré qui se distingue du jeu libre (Ministère de l'Éducation nationale, 2021), la primauté donnée à l'apprentissage étant révélatrice d'une approche scolarisante en France malgré la prise en compte accrue du développement de l'enfant depuis les programmes de 2015 (Joigneaux, 2019). Au Québec, le langage oral fait partie du domaine langagier, l'un des cinq domaines du développement global de l'enfant au cœur du programme, sans être un élément central de ce programme. Du côté de la France, le langage oral occupe une place centrale dans le programme et constitue une priorité de l'école maternelle (MEN, 2021). Cependant, le jeu, comparativement au programme-cycle du Québec, occupe une moins grande place dans le programme français même si son importance est mentionnée (Brougère, 2020) alors que le rôle de l'enseignant dans le développement du langage oral de l'enfant est davantage mentionné dans les programmes français (MEN, 2021), notamment en contexte de jeu structuré (MEN, 2015). Étant donné la différence entre ces deux programmes, est-ce que les enseignantes françaises sont davantage préoccupées par l'étayage langagier que les enseignantes québécoises? Qu'en est-il au niveau du jeu symbolique? Les enseignantes françaises ont-elles tendance à moins jouer avec les enfants étant donné une place moins importante du jeu dans leur programme? Est-ce que les pratiques des enseignantes québécoises et françaises en ce qui a trait au jeu symbolique et au développement du langage sont différentes étant donné les visées des deux programmes?

À partir des différents constats émis précédemment et étant donné l'importance du jeu pour le développement du langage oral des enfants, l'importance de l'étayage de l'enseignant-e pour favoriser le jeu mature et le développement langagier, et étant donné la place accordée au jeu et au langage oral dans les programmes québécois et français, nous avons souhaité comparer les pratiques d'enseignants-es français-es et québécois-es en ce qui concerne la maternelle en fonction des visées des programmes. Pour y arriver, une recherche collaborative (Desgagné, 1998) a été menée en France et elle avait pour objectif de rendre compte des interventions des enseignantes, dans le jeu symbolique, qui permettent le développement du langage oral. La recherche collaborative « vise une médiation entre le monde de la recherche et celui de la pratique professionnelle, en vue d'étudier le savoir-faire qui sous-tend cette dernière dans le cadre d'une démarche de coconstruction » (Morrissette, 2013, p. 41). Il s'agit donc d'une façon de faire de la recherche « avec » plutôt que « sur » les enseignants-es. Quatre enseignantes de la maternelle en France (moyenne section et grande section) ont fait partie de cette recherche au cours de l'année 2022-2023. Les trois étapes de la recherche collaborative de Desgagné (1998), soit la cosituation, la coopération et la coproduction, ont été respectées. Pour collecter les données de recherche, un questionnaire a été rempli à deux reprises par les enseignantes (au début et à la fin de la recherche) afin de collecter des données sur leurs pratiques avant et après la recherche ainsi que sur leurs connaissances du jeu et du langage oral. Aussi, les chercheurs ont tenu un journal de bord afin de noter leurs observations en classe et lors des rencontres de groupes. Également, les rencontres ont été filmées et retranscrites sous forme de verbatim afin d'être analysées (analyse de contenu). Enfin, des entretiens d'autoconfrontation ont été menés à la suite de captations vidéos dans les classes afin de permettre aux enseignantes d'expliciter leurs pratiques et leurs prises de décisions en plus de permettre aux chercheurs d'avoir accès à ce qui ne peut être documenté par l'observation.

Cette communication fera tout d'abord état des résultats issus de cette recherche collaborative menée en France. Puis, les résultats seront mis en parallèle et comparés avec ceux de trois recherches collaboratives menées à la maternelle 4 ans et 5 ans au Québec entre 2016 et 2021 qui avaient un protocole de recherche semblable à la recherche menée en France. Les données préliminaires de cette comparaison montrent à travers les pratiques analysées plusieurs enjeux similaires (être cojoueur et l'identification des savoirs langagiers oraux dans le jeu par exemple), mais des préoccupations distinctes entre la France et le Québec (le statut de l'enseignante dans le jeu par exemple). Les pratiques des enseignants-es en regard des modes d'organisation des savoirs et des évolutions curriculaires seront aussi mises de l'avant (axe 3). Il sera également possible de répondre à cette question de l'axe 3 en s'appuyant sur les travaux de Leplat (2004) : Comment les pratiques des enseignants-es sont-elles marquées par les modes de structuration des savoirs adoptés dans les curriculums?

Références (10 sur les 16 citées pour respecter la contrainte) :

Bodrova, E. et Leong, J. D. (2012). Les outils de la pensée : l'approche vygotskienne dans l'éducation de la petite enfance. Ste-Foy : PUQ.

Brougère, G. (2020). Comprendre l'école maternelle française à travers son répertoire de pratiques professionnelles. Revue internationale de communication et de socialisation, 7(1-2), 91-105.

Bruner, J. S. (1983). Le développement de l'enfant : savoir-faire, savoir dire. Presses universitaires de France.

Bruner, J. S. (1986). Jeu, pensée et langage. Perspectives, 16(1), 83-90.

Desgagné, S. (1998). La position du chercheur en recherche collaborative : illustration d'une démarche de médiation entre culture universitaire et culture scolaire. Recherche qualitatives, 18, 77-105.

Joigneaux, C. (2019). À quoi jouent les élèves de maternelle ? Des conceptions pédagogiques aux pratiques de classe, Émulations – Revue de sciences sociales, 29, 58-71.

Leplat, J. (2004). Éléments pour l'étude des documents prescripteurs. Activités [en ligne], 1(2), 195-216.

Marinova, K. (2014). L'intervention éducative au préscolaire. Un modèle de pédagogie du jeu. Presses de l'Université du Québec.

Michel-Chevally, M.-L. et Clerc-Georgy, A. (2020). Les interactions d'étayage pendant le jeu à l'école maternelle. Dans A. Clerc-Georgy et S. Duval (Dir.). Les apprentissages fondateurs de la scolarité. Enjeux et pratiques à la maternelle (p. 71-85). Chronique sociale.

Morrissette, J. (2013). Recherche-action et recherche collaborative. Quel rapport aux savoirs et à la production de savoirs? Nouvelles pratiques sociales, 25(2), 35-49.


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