S1 - Des souvenirs de leçons d'histoire. Analyse des contenus, des pratiques et des contextes
Catherine Souplet  1@  
1 : Département des sciences de l'éducation
Université Lille3, Université Lille III - Sciences humaines et sociales : EA4354
Université SHS de Lille 3 Domaine universitaire du pont de Bois 3 rue du Barreau 59870 Villeneuve d'Ascq -  France

Des chercheurs en didactiques et en sciences de l'éducation, rassemblés au sein du collectif CICUR (Collectif d'Interpellation du Curriculum Français), proposent de mobiliser une approche curriculaire pour examiner la cohérence des savoirs enseignés en vue d'en éviter la fragmentation, et de réaffirmer l'idée que « ce que les écoles, partout dans le monde, enseignent aux élèves est censé faire sens pour eux et pour les sociétés » (CICUR, 2021, p. 5). C'est dans cette perspective que s'inscrit cette communication, en s'arrêtant sur la discipline scolaire histoire, et en tentant de mieux identifier le sens que confèrent des apprenants aux savoirs enseignés. Je propose pour cela de revisiter un corpus collecté dans le cadre d'un cours de 3ème année de licence Sciences de l'éducation, en didactique de l'histoire. Au sein de ce cours, durant quatre années consécutives, de 2016 à 2019, j'ai demandé aux étudiants d'écrire un souvenir d'une leçon d'histoire avec la consigne suivante : « Faites le récit d'un souvenir de classe, ou de leçon d'histoire, de façon suffisamment explicite pour qu'un lecteur puisse se le représenter clairement ».

Cette démarche qui consiste à solliciter des récits d'étudiants pour ensuite en faire un objet d'analyse, dans le cadre de situations d'enseignement, s'appuie sur des travaux précédents en didactique du français (Daunay, Reuter, 2004), en didactique des sciences (Cohen-Azria, 2016) et en didactique de l'histoire (Hannachi, 2018). Un des objectifs pédagogiques repose sur le fait que « les souvenirs sollicités [visent] à fonder sur des savoirs expérientiels les cadres théoriques du cours » (Daunay, Reuter, 2004, p. 169).

La collecte de ces textes servait une intention pédagogique : fournir aux étudiants un matériau de travail qui fasse sens pour eux. Initialement, cela ne répondait pas à une question de recherche. Mais, il s'avère a posteriori qu'il y a là un matériau riche puisque l'ensemble des textes recueillis, sur les trois années, forme un corpus de 120 souvenirs, parcourant le cursus scolaire, de l'école élémentaire à l'université. Interroger ce corpus permet d'explorer certains aspects du curriculum vécu, puisque ces textes sont des discours subjectifs évoquant des vécus d'élèves. Ils donnent à voir ce qui « reste » de moments d'apprentissages dans des leçons d'histoire, et qui revêt suffisamment d'importance (quelle qu'en soit la raison) aux yeux des narrateurs pour être écrits et rendus publics au sein d'un groupe d'étudiants. Chaque récit constitue un extrait circonscrit et choisi (par l'étudiant) au sein du continuum des leçons d'histoire vécues par un élève.

 

La méthodologie retenue pour explorer ces récits est une analyse de contenu thématisée, à partir de critères constitutifs d'une discipline scolaire (Reuter, 2021) tels que le niveau scolaire, les contenus disciplinaires, les supports, les modalités de travail, l'évocation d'émotions, la place de l'enseignant. Les constats qui en résultent mettent en évidence la diversité des pratiques de l'histoire scolaire : de leçons renvoyant à une image traditionnelle, voire un peu poussiéreuse, où il s'agit de répondre à des questions, de recopier, d'apprendre par cœur, à des leçons revêtant un caractère extra-ordinaire lorsque l'élève construit une maquette, joue au reporter, vit une expérience particulière. L'analyse montre des récurrences fortes dans les contenus : la présence d'un Panthéon de personnages historiques (de Cock, Falaize, 2016) et la mention fréquente des guerres (Wuillot, 2016). L'évaluation constitue une dimension régulièrement mentionnée, avec ce qu'elle provoque, et selon des formes différentes. Enfin, le professeur est très présent dans ces récits, entre autres par les situations qu'il met en place dans la classe, par l'évocation de ce qu'il fait (ou ne fait pas), de ses façons de parler, de son mode d'interaction avec les élèves, mais aussi par l'évocation de son aspect physique notamment lorsqu'il s'agit d'une femme. Des sentiments, des émotions, voire un rapport personnel à l'histoire (Lautier, 1997), traversent explicitement ou implicitement les textes produits.

 

L'ensemble de ces dimensions réfère au vécu de la discipline (Reuter, dir., 2016), et ces récits de souvenirs rendent perceptibles les expériences sensibles de ces vécus. Par exemple, le fait d'être touché, marqué par des images, par des témoignages, ou d'éprouver le stress ressenti en lien avec l'évaluation, ou encore de se remémorer le vécu d'une théâtralisation du cours par le professeur. Les anecdotes sont présentes et semblent contribuer à « ancrer » des souvenirs de leçons : le professeur qui se débat avec des outils numériques, un jour de neige et le fait d'être entré en classe avec des chaussures pleines de neige... Enfin, la confrontation à un réel, à un concret, prend aussi une place significative, que ce soit dans des espaces muséaux (par exemple voir les tenues des mineurs, voir des lieux historiques) ou que ce soit dans la classe, lorsque le professeur apporte des objets historiques ou travaille avec des vidéos.

 

L'analyse ouvre également sur une perspective curriculaire en distinguant d'éventuelles particularités et/ou récurrences selon les niveaux scolaires, de l'école élémentaire au lycée.

 

Ces différents axes d'analyse permettent d'identifier des savoirs « qui restent », mais aussi de prendre en compte les contextes dans lesquels ces savoirs ont pris consistance, en identifiant des façons « savoureuses » de s'approprier des savoirs en histoire, lorsque « la magie opère » (extrait d'un récit d'étudiant), et des façons plus frileuses qui provoquent des réticences à « entrer en discipline » (Astolfi, 2010).

 

 

 Bibliographie

 

Astolfi, J.-P. (2008). La saveur des savoirs. Disciplines scolaires et plaisir d'apprendre. Paris : ESF.

 

CICUR (2021). Pour une politique curriculaire en France. Texte introductif à la rencontre organisée par le CUIP le samedi 20 novembre 2021 à la Bibliothèque nationale de France, Paris.

 

Cohen-Azria, C. (2016). Souvenirs de classe de sciences d'étudiants en formation : une autre approche de l'analyse disciplinaire ? Communication aux 9e rencontres scientifiques de l'ARDiST, Lens.

 

Daunay, B., Reuter, Y. (2004). Souvenirs de lecture-écriture d'étudiants en formation. In Repères, n°30, p. 167-186.

 

De Cock, L. & Falaize, B. (2016). Les acteurs de l'histoire : présences, absences et fonctions. In Lantheaume, F. & Létourneau J. (dir.) Le récit du commun. L'histoire nationale racontée par les élèves. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.

 

Hannachi, M. (2018). Les souvenirs d'histoire scolaire chez les jeunes adultes : éléments pour la didactique de l'histoire. Mémoire de master didactique des disciplines, Université Paris Diderot.

 

Lautier, N. (1997). A la rencontre de l'histoire. Lille : Presses universitaires du septentrion.

 

Reuter, Y. (2016). Vivre les disciplines scolaires. Vécu disciplinaire et décrochage à l'école. Paris : ESF. 

 

Reuter, Y. (Ed.) (2007). Traité des didactiques. Louvain la neuve : De Boeck Editions.

 

Wuillot, E. (2016). La guerre : opérateur de l'histoire de France. In Lantheaume, F. & Létourneau J. (dir.) Le récit du commun. L'histoire nationale racontée par les élèves. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.

 

 

 


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