Agir dans le monde passe d'abord et avant tout par l'agir de nos corps, nos ressentis, nos éprouvés, nos émotions, notre attention aux autres et à nous-mêmes. Partant d'une conception élargie du sensible, comme espace tout à la fois singulier et à partager (Rancière, 2000), nous souhaitons interroger dans ce symposium comment les pratiques et les situations didactiques scolaires et hors-scolaires, au travers de la pratique de la danse, permettent de construire un rapport sensible au monde, comme capacité nécessaire pour en aborder la complexité. À en juger les textes institutionnels et références curriculaires aux disciplines artistiques, les pratiques artistiques à l'école semblent être des entrées privilégiées pour développer une connaissance sensible de soi, du monde et des œuvres culturelles, associée au développement de la créativité et de l'esprit critique. Pourtant, malgré l'omniprésence des termes “sensible” et “sensibilité” dans les curricula, ce que revêt une éducation (au) sensible dans les pratiques didactiques effectives reste largement à travailler.

La danse questionne selon nous de manière privilégiée la forme scolaire, par la place prépondérante qu'elle donne au corps et au sensible. Le corps, le sensible et les compétences issues des éprouvés font à la fois partie intégrante de la complexité d'être au monde et nourrissent l'accès à cette complexité : l'expérience complexe entre agir et éprouver (Dewey, 2010), à la fois corporelle et artistique à laquelle la danse peut inviter, est un terreau fertile au développement de l'attention, l'intention, la conscience et une forme de connaissance qui est au cœur même de la pratique sociale de référence représentée par les pratiques chorégraphiques contemporaines.

Ce symposium s'inscrit de manière privilégiée comme contribution à l'axe 2 du colloque, en considérant le sensible et l'attention au corps, aux émotions et aux autres, comme capacités essentielles à construire pour aborder la complexité du monde. L'éducation au sensible via la pratique chorégraphique, dans une perspective d'éducation à l'art par l'art et indissociable d'une forme de pratique permettant la réflexion sur les œuvres et le développement de la créativité des élèves, essentielle dans la formation du citoyen (OCDE, 2020), appelle une réflexion sur les pratiques de classe (OCDE, 2020 ; Giglio, 2020). 

La question des conditions didactiques pour construire une attention au corps, à ses possibles accomplissements et au sensible sera analysée dans les communications par le recours à la TACD mobilisée par les différents chercheurs du symposium. L'analyse didactique par l'action conjointe propose de considérer l'attention du professeur ou du chorégraphe sur l'élève ou l'interprète afin d'amener ce dernier dans une qualité d'attention. 

L'usage d'un même cadre théorique, celui de la TACD (Sensevy & Mercier, 2007), nous offre la possibilité d'une réflexion comparatiste qui émergera de la variété des terrains d'étude (scolaire, hors-scolaire, français et suisse) et des méthodologies convoquées et/ou construites. Ce sera l'occasion également pour les auteurs de discuter la pertinence de certains usages de notions théoriques, de leur redéfinition ou de nouvelles propositions conceptuelles forgées justement dans le cadre d'analyses didactiques dans le champ de la didactique des arts et des pratiques corporelles.

Dans ce symposium, il s'agira de :

- faire émerger des éléments de compréhension concernant une éducation (au) sensible et d'une éducation de l'attention (Ingold, 2001, 2018) ;

- contribuer à une meilleure compréhension des dimensions transactionnelles de l'expérience corporelle et sensible.

Références bibliographiques

Collectif Didactique pour Enseigner (2019). Didactique pour enseigner. Presses Universitaires de Rennes.

Dewey, J. (2010). L'art comme expérience. Gallimard.

Giglio, M. (2020). Gestes d'orientation créative : entre curriculum scolaire et référentiel de compétences de formation d'enseignants. Dans E. Charlier, J.-F. Roussel, M. Giglio & P. Mayen (dirs.), Penser le métier par la formation, (pp. 175–196). Alphil. 

Ingold, T. (2001). From the transmission of representations to the education of attention. Dans H. Whitehouse (dir.), The Debated Mind: Evolutionary Psychology versus Ethnography (pp. 113–154). Bloomsbury. 

Ingold, T. (2018). L'anthropologie comme éducation. Presses Universitaires de Rennes.

Leutenegger, F. (2000). « Construction d'une clinique pour le didactique. Une étude des phénomènes temporels de l'enseignement ». Recherches en didactique des mathématiques, no 20(2), p. 209-250

Rancière, J. (2000). Le partage du sensible. Esthétique et politique. La Fabrique. 

Schubauer-Leoni, M. L., & Leutenegger, F. (2005). « Une relecture des phénomènes transpositifs à la lumière de la didactique comparée », Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften, 27(3), 407-429.

Sensevy, G. & Mercier, A. (2007). Agir ensemble. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves. PUR. 

Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir. Éléments pour une théorie de l'action conjointe en didactique. De Boeck.

Vincent-Lancrin, S., Gonzalez-Sancho, C., Bouckaert, M., De Luca, F., Fernandez-Barrera, M. (2020). Développer la créativité et l'esprit critique. Des actions concrètes pour l'école. https://www.oecd-ilibrary.org/sites/8ec65f18-fr/1/3/1/index.html?itemId=/content/publication/8ec65f18-fr&_csp_=85f44610ae33826b85f13563e8bf6e15&itemIGO=oecd&itemContentType=book