Didactique de la sensibilité, didactique de la danse : quelles complémentarités ?
Problématique
Dans la perspective proposée par le colloque, la sensibilité apparaît comme un nouvel objet d'enseignement : celui-ci pourrait enrichir les enseignements artistiques mais son émergence ne manque pas d'interroger. Comment caractériser cette sensibilité ? On pourra prendre pour symptôme de cette difficulté l'ambition de Schaeffer (2015, 2000) de fonder la sensibilité sur une attitude attentionnelle, ancrée dans une psychologie cognitive antérieure aux séparations disciplinaires et à leur relativité. La sensibilité se définirait ainsi comme expérience esthétique, expérience attentionnelle spécifique et qui appellerait la formation conséquente. Le sensible serait ainsi pré-disciplinaire, voire non-disciplinaire. Néanmoins, cette approche prétend considérer un sujet anhistorique. Elle suppose des processus psychiques naturels par lesquels la sensibilité n'engagerait pas vraiment l'ensemble de l'expérience des individus ni leur implication sociale. Rancière (2004), critiquant Schaeffer, souligne à l'inverse combien cette expérience esthétique s'inscrit dans les suites de la Révolution française : le sensible est un levier de développement et d'émancipation important parce qu'il engage la personnalité, son rapport au monde et à lui-même, dans une dimension toujours politique.
Comment, alors, concevoir une didactique de la sensibilité qui engage la situation sociale et historique de l'élève ? Et quelles pratiques peut-on concevoir qui réponde à cette ambition ?
Méthodologie
Nous nous appuierons sur le suivi d'un atelier de danse conduit pour une classe de 3° (France) par un artiste en partenariat avec les enseignants de français et EPS de la classe. Les séances ont été observées au long d'une année et vidéoscopées, complétées par des entretiens avec les intervenants. En mettant en parallèle l'évolution d'un élève dans son comportement en atelier avec les propositions de l'artiste intervenant, il est possible de montrer des pistes d'action qui relèvent d'une didactique émergente de la sensibilité.
Cadre théorique et éléments de discussion
L'analyse, en référence à la TACD et dans une posture de discussion de celle-ci, interroge la notion de milieu dans la mesure où la sensibilité peut se caractériser par l'attention au milieu en même temps qu'elle se développe par l'inscription dans un milieu. Celui-ci relève de l'action conjointe de l'enseignant et des élèves, dans le présent des situations (mésogénèse). Mais le milieu peut aussi se comprendre, et plus originellement, comme résultant d'un dialogue qui est à la fois centration (par quoi le sujet rapporte l'environnement à ses besoins et intérêts) et décentration (qui déplace le sujet en fonction du milieu et de son aptitude à se déplacer). Le sensibilité consisterait donc à rendre l'élève capable de profiter des « infidélités du milieu » (Canguilhem, 1966, p. 130) pour entrer dans une dynamique émancipatoire.
En déplaçant et en élargissant la notion de milieu construite par la TACD, on envisagera quelques leviers d'action pour le sensible : expérimentation corporelle ; interrogation de la biographie ; appui sur le collectif et la reconnaissance des pairs ; référence aux situations sociales de référence artistiques (représentation chorégraphique). C'est dans l'action complémentaire de ces différentes dimensions que l'élève accèderait à une sensibilité qui le déplace dans ses représentations cognitives et identitaires.
Bibliographie
CANGUILHEM G. (1966). Le Normal et le pathologique. P.U.F.
FABRE S. (2019). Pour une interdidactique des arts comme voies d'émancipation. Penser l'éducation, 45, 27-53.
RANCIÈRE J. (2004). Malaise dans l'esthétique. Galilée.
SCHAEFFER J.-M. (2000). Adieu à l'esthétique. Les essais du Collège international de philosophie.
SCHAEFFER J.-M. (2015). L'expérience esthétique. Gallimard.
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