Communiquer et apprendre à communiquer un résultat en sciences à 5 ans : quels usages et pour quel.s langage.s ?
Christine Riat  1, 2@  , Ludivine Sauget  2, 3@  , Florence Ligozat  3, 4@  
1 : SR-DIC Université de Genève
2 : Haute Ecole Pédagogique BEJUNE
3 : GREDIC Université de Genève
4 : Université de Genève

L'évolution dans la formulation des curriculums est un fait. Elle est significative pour les premiers degrés de la scolarité, et pour un focus de notre contribution à propos d'une expérimentation en sciences, où le langage oral, gestualisé et écrit y trouve place et devient focus de notre analyse. Brièvement retracé, en Suisse romande, trois dates jalonnent cette évolution. En 1972, avec CIRCE 1, le domaine de l'éducation aux perceptions (du corps, des objets, ...) est associé à celui d'éducation intellectuelle (dont notamment langue et manipulation mathématique). En 1992, cinq domaines sont décrits, dont « activités langagières, mathématiques et d'exploration de l'environnement ». En 2020, l'école devient obligatoire dès 4 ans et la dénomination disciplinaire apparait clairement, dont : Français (L1), Mathématiques (M), Sciences de la nature (SN), (ci-après L1, M, SN ; MSN ne formant qu'un domaine).

Cela signifie-t-il une forme d'acculturation et de socialisation compartimentée que le corps enseignant n'est pas entièrement préparé à assumer, lui qui devait jusque-là penser à une articulation entre les domaines, en l'occurrence en SN, en M et en L1 ?

En tous les cas, un premier constat réside dans le problème des ressources didactiques pour l'enseignement scientifique à l'école primaire, et plus particulièrement au cycle 1 Harmos qui est régulièrement pointé par les enseignants, mais peu investi du point de vue de la recherche en didactique des sciences. Les Moyens d'Enseignement Romands officiels (MER) tentent de s'adapter à l'évolution des plans d'études qui intègrent désormais des composantes de la démarche scientifique, visant à mettre en œuvre des formes d'enquête en classe et où le langage tient une place spécifique.

Un second constat s'impose : dans le PER (2010), l'initiation à la démarche scientifique propose directement des liens avec le domaine Mathématiques (grandeurs et mesures) et Français L1 (compréhension et production de l'oral, et ici en tant que support de communication). Il s'agit donc de prendre en compte le croisement de divers domaines disciplinaires ou d'activités (Marlot & Ligozat, 2011), voire pour l'enseignant∙e d'en assumer les liens en l'absence de ressources spécifiques. 

Le troisième constat relève de l'usage du langage (oral et écrit) dans ce contexte spécifique de démarche scientifique dont Villard (2016) nous indique que grâce à des activités de manipulation, l'élève « apprend à observer, à formuler des interrogations » (p.11). Le sentiment d'appartenance à une communauté d'apprenants « se construit peu à peu dans des actions conjointes, dans des discussions et dans le partage de significations » (ibid, p.17). Ainsi, l'élaboration et l'usage de traces deviennent pertinents, pour leur fonction de mémoire et à des visées de communication au sein de la classe.

Si la communication de ses conceptions peut s'inscrire dans un usage du langage spontané, la communication de ses observations, de ses résultats ou constats nécessite de passer à une position énonciative scientifique propre à une communauté discursive disciplinaire scolaire (Jaubert & Rebière, 2020). Le langage est ici pris non comme objet enseigné en classe de français (Thévenaz-Christen & Schneuwly, 2006) mais comme support de communication pour SN. Des systèmes sémiotiques oraux et iconographiques semblent alors nécessaires à élaborer (Leutenegger, 2008), à des fins d'outils de mémoire, impliquant des manipulations d'objets matériels, langagiers et picturaux qui s'organisent selon une grammaire propre à l'enquête scientifique et sous l'accompagnement et la régulation de l'enseignant∙e.

Quels objets de la démarche scientifique sont convoqués, à travers quelles modalités (langagières, gestuelles, matérielles), et comment sont-ils introduits par l'enseignant.e pour engager intellectuellement les élèves (Marlot, Riat & Roy, 2022)? En mobilisant le cadre de l'action conjointe en didactique (Sensevy & Mercier, 2007), nous souhaitons spécifier le travail de régulation de l'enseignant∙e, correspondant à une forme d'équilibration didactique entre le contrat didactique et le milieu. Le statut didactique du milieu n'est pas un donné mais un construit fait d'ajustements qui visent l'élaboration progressive de significations partagées entre l'enseignant∙e et les élèves, au moyen de langages. Nous les visibilisons.

Les données sont extraites d'une séquence didactique portant sur l'exploration de « la masse » en tant que propriété physique et grandeur propre à un objet avec des élèves d'une classe de 2ème primaire (5 ans). Cette séquence a été conçue dans le cadre d'un processus d'ingénierie didactique de développement (au sens de Perrin-Glorian, 2011) au sein d'un partenariat entre chercheurs (HEP BEJUNE et UNIGE) et enseignants (Canton du Jura)*. Nous réalisons un survol de la séquence ; le point de départ se situe dans la 4ème séance, portant sur la comparaison d'objets de masses proches (« Les objets litigieux ») qui vise à amener les élèves à passer d'une perception sensorielle d'une différence de masse (relation « est plus lourd/moins lourd que »), qu'ils expriment par le langage oral et gestuel, à une réflexion outillée par l'usage de la balance pour mettre en évidence une grandeur. A l'aide de la topogenèse en tant que descripteur de l'action conjointe, nous caractérisons l'enchainement des actions et les modalités de langage de chacun des partenaires. Les données sont issues de captations vidéo ainsi que de traces écrites des élèves.

Les résultats montrent que les outils langagiers mobilisés sont principalement oraux et accompagnent très souvent les gestes corporels soutenant ou représentant la matérialité à disposition. Du point de vue du langage oral, les conduites discursives (expliquer /préciser / ...), en tant que construit permanent entre enseignante et élèves sont au cœur de l'analyse. A des visées comparatistes intra-discipline et intra-séquence/inter-séances, nous analysons également la 6ème séance « Devinettes » ainsi que la dernière séance, nommée « Je dessine ce que j'ai appris avec le peson ». A travers des modalités langagières orales et écrites, la situation permet l'expression de positions énonciatives spécifiques, mobilisant des termes caractéristiques de la réflexion de la démarche d'investigation scientifique étudiés sous l'angle du langage support de communication.

*La séquence «Masses» a été élaborée avec le concours de Laurence Marty et Marie Sudriès.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2020). Quels outils pour rendre compte du passage d'une langue quotidienne à une langue disciplinaire scolaire ? Revue Suisse des Sciences de l'éducation, 42, 569-581.

Jouglet, M., & Morand, H. (2010). Grandeurs et mesures. Contenance, masse, longueur. CEREN, CRDP Nord, Réseau Canopé.

Leutenegger, F. (2008). L'entrée dans un code écrit à l'école enfantine et l'articulation entre le collectif et l'individuel : comparaison de deux études de cas. Education & Didactique, 2(2), pp. 7-42.

Marlot, C., & Ligozat, F. (2011). La sémiotisation du temps des processus biologiques : enquête en didactique en contexte préscolaire. Recherces en Didactiques des Sciences et Techniques, 4, 29-56.

Marlot, C., Riat, C., & Roy, P. (2022). Experimental Protocol Poster in a « Preschool » Classe : An Object for Learning or an Object to Learn About ? Dans J. J. Bisault, R. Le Bourgeois, J.-F. Thémines, M. Le Mentec, & C. Chanoine, Objects to Learn About and Objects for Learning 2, Which Teaching Practises for Which Issues ? (pp. 176-192). ISTE, WILEY, Vol.11.

Perrin Glorian, M.-J. (2011). L'ingénierie didactique à l'interface de la recherche avec l'enseignement. Développement de ressources et formation des enseignants. Dans C. Margolinas, & e. al., En amont et en aval des ingenieries didactiques (pp. 55-78). La pensée sauvage.

Sensevy, G., & Mercier, A. (2007). Agir ensemble, l'action conjointe du professeur et des élèves. Presses universitaires de Rennes.

Thévenaz-Christen, T., & Schneuwly, B. (2006). L'activité langagière comme objet enseigné. Exploration au moment de son émergence dans la forme préscolaire. De Boeck.

Villard, E. (2016). Les traces pour apprendre. Explorer le monde. Réseau Canopé.


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