L'objet de cette communication correspond à un axe de ma thèse en cours, s'inscrivant dans un projet de recherche soutenu par le Fonds National Suisse (FNS) fédérant 3 équipes de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Genève respectivement en didactique des mathématiques (DiMaGe), en psychologie du développement et en technologies pour la formation (TECFA). Un des objets centraux de ma thèse consiste en l'élaboration d'ingénieries didactiques sur le repérage expérimentées dans 5 classes de 2 écoles, que nous suivons sur 3 années scolaires (Grades 2 à 5, élèves de 7 à 11 ans). Pour pallier l'impossibilité d'amener les élèves dans une ville inconnue, nous avons conçu une ville virtuelle et un environnement technologique évolutif sur les 3 années.
Un élément crucial qui émerge de nombreuses recherches en didactique comme en psychologie est la malléabilité des connaissances spatiales (Newcombe et Frick, 2010). Par ailleurs, Berthelot et Salin (1992) émettent l'hypothèse que la raison pour laquelle le repérage spatial est peu investi à l'école primaire est due au fait qu'il est difficile pour les enseignants de mettre en activité et surtout d'évaluer les élèves dans leurs actions dans l'espace sensible. Ils ont en effet souligné qu'un point important mais non suffisamment pris en compte dans l'enseignement est de partir des expériences directes sur l'environnement avant d'aborder les représentations graphiques ou mentales d'un espace donné. Plus généralement, il s'agit d'opérer un va-et-vient entre action réelle sur l'espace sensible et action intériorisée (Piaget et Inhelder, 1948). Berthelot et Salin (1992) soulèvent, à leur tour, l'importance d'avoir recours à ces actions effectives et évoquées en proposant aux élèves des situations a-didactiques dans le macro-espace, c'est-à-dire trop grand pour pouvoir être perçu d'un seul coup d'œil mais dont l'appréhension nécessite le recollement de plusieurs images mentales (Brousseau, 1983).
Partant de ce constat, il apparaît essentiel que la ville virtuelle ainsi que les déplacements en son sein soient proches de la réalité. De ce fait, nous avons décidé de ne pas permettre la marche arrière sur une longue distance, dans le but d'inciter l'élève à faire demi-tour, comme il le ferait pour revenir sur ses pas s'il se promène dans la vraie vie. Les déplacements dans l'environnement virtuel se font à l'aide d'une manette de jeu devant un écran d'ordinateur. Cela fait aussi écho à de nouvelles pratiques sociales, que ce soit l'utilisation de GPS ou la pratique de jeux vidéo. Pour les besoins des tâches de l'ingénierie, nous avons conçu la ville comportant une zone urbaine (riche en points de repère locaux) et une banlieue (avec uniquement des ponts de repère globaux comme le soleil ou les montagnes). Ainsi, suivant le quartier dans lequel l'élève évolue, les contraintes varient. Il est attendu de l'élève qu'il utilise le système de repérage qu'il juge pertinent en fonction de la situation : système de repérage subjectif (selon son propre point de vue ou celui d'un élément fixe de l'environnement), objectif (au moyen de points de repère indépendants du point de vue de l'observateur) ou absolu (ce système de repérage est indépendant du point de vue de l'observateur et de tout autre objet) (Charnay et al., 2006).
Nous avons conçu nos ingénieries didactiques sur les 3 années, en tenant compte des attentes du Plan d'études Romand (PER) tant en mathématiques qu'en géographie et des Moyens d'enseignement romands actuels (MER). Ainsi, en nous plaçant dans le cadre de la théorie des situations didactique (Brousseau, 1998), nous avons dégagé différentes variantes en partant de la situation fondamentale qui consiste à se repérer dans une ville inconnue. Les activités proposées aux élèves se déclinent à l'aune des valeurs possibles des variables didactiques. Elles vont de la description d'une position à la production et l'interprétation d'une description d'itinéraires orale ou écrite, pour soi ou pour autrui, en simultané à l'action ou en différé. Pour les 3 ingénieries, une activité de communication orale simultanée à l'action est prévue avant le passage à l'écrit. L'intention étant de préparer les élèves à adopter des stratégies de codage efficaces. Un autre point commun aux 3 ingénieries est la présence d'une activité de production de message écrit. Nous pouvons ainsi analyser l'évolution des messages en termes de représentations spatiales des élèves. En outre, des situations d'évaluation ont été pensées pour chaque ingénieries, ainsi que des feedbacks réguliers de l'environnement à l'élève lui permettant de valider ou de revoir sa procédure. La validation par images en est une illustration : l'élève voit défiler en parallèle le trajet qu'il a effectué et celui qui est correct et opère donc par comparaison des deux chemins.
L'utilisation des représentations 2D tels que les cartes n'intervient pas en grade 2, en accord avec le PER. Ainsi au grade 3, avec l'usage de cartes, se fait le passage de l'espace effectif à l'espace évoqué par la carte.
Les choix de macro-variables didactiques (carte en simultané ou non, communication orale ou écrite) dont certains nous sont rendus possibles par la technologie, permettent, dans un premier temps, d'entraîner le repérage spatial avec les élèves au moyen de la ville virtuelle et, dans un second temps, de questionner leurs représentations spatiales et l'évolution de celles-ci au fil du temps. Ce sont des éléments d'analyse de cette évolution que nous nous proposons de présenter dans le cadre de la présente communication.
Références bibliographiques
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Berney, S., Betrancourt, M., Coutat, S., Dorier, J.-L., Maurer, R., & Sander, E. (2019). Rethinking the links between spatial knowledge and geometry in primary education through virtual environments. Requête acceptée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (projet 100019_188947/1).
Berthelot, R., & Salin, M.-H. (1992). L'enseignement de l'espace et de la géométrie dans la scolarité obligatoire. Thèse de doctorat en mathématiques, Université de Bordeaux I.
Brousseau, G. (1983). Étude des questions d'enseignement, un exemple : la géométrie.
Séminaire de didactique des mathématiques et de l'informatique, 45, 183–226.
Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble : La pensée Sauvage.
Conférence Intercantonale de l'Instruction Publique. (2010). Commentaires généraux du domaine Mathématiques et Sciences de la nature (premier cycle). In Plan d'études romand. Neuchâtel: CIIP. Repéré à
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Charnay, R. & Douaire, J. (2006). Ermel-Apprentissages Géométriques et résolution de problèmes au cycle 3. Paris : Hatier.
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Newcombe, N. S., & Frick, A. (2010). Early Education for Spatial Intelligence: Why, What, and How. Mind, Brain, and Education, 4(3), 102–111.
Piaget, J., & Inhelder, B. (1948). La représentation de l'espace chez l'enfant (1ère éd.). Paris: Presses Universitaires de France.
Plan d'études romand :
MSN 21. Poser et résoudre des problèmes pour structurer le plan et l'espace. In Plan
d'études romand. Neuchâtel : CIIP. Repéré à
https://www.plandetudes.ch/web/guest/MSN_21/