La communication proposée s'inscrit dans l'axe 2 de l'appel “place des objets, domaines et pratiques émergentes dans les curriculums et les pratiques éducatives”. Elle souhaite présenter sous cet angle un objet (relativement) nouveau dans les curriculums français, mais aussi internationaux, et un champ de pratiques éducatives, situées d'une part au-delà des frontières des disciplines scolaires, et d'autre part, aux points de contact entre plusieurs mondes professionnels dans lesquelles la mission éducative est présente, mais prend des significations variées, parfois contradictoires, nécessairement mises en tension entre trois espaces potentiellement didactiques : l'enseignement, la médiation et l'éducation (certains acteurs refusant de se reconnaitre dans les deux autres).
Ce champ de pratiques est en France défini conjointement par les ministères de la Culture et de l'Éducation, sous l'intitulé EAC (éducation artistique et culturelle). Ce champ éducatif n'a pas nécessairement d'équivalent dans tous les curriculums nationaux, même si dans la littérature internationale il est proche de ce qu'on appelle Art education, au singulier, pour le distinguer de Arts education, au pluriel, désignant la liste à peu près stables des disciplines artistiques enseignées en contexte scolaire ou associatif. Pour en ouvrir l'extension, nous choisissons de parler d'éducation aux arts et par les arts (EAPA), qui est très loin de se réduire aux seuls enseignements artistiques scolaires -- ni même à une définition réductrice de ce qui est appelé "art".
Les tensions dans les trois espaces de pratiques concernent évidemment la définition même des “contenus” enseignés, transmis ou plus largement “en-jeux”. Car ce que certains revendiquent comme des apprentissages n'est pas défini comme tels par d'autres, alors même que parfois les deux mondes coexistent, comme dans les pratiques de médiation culturelle conduites dans les établissements scolaires, ou encore lors des visites scolaires de musées, d'exposition ou d'autres lieux de l'art. Ou encore dans les pratiques des artistes intervenants.
Enfin, ces tensions concernent la mise en oeuvre de ces objets dans des pratiques éducatives concrètes, qui ne sont pas toujours portées par des acteurs spécialistes de ces pratiques et de ces objets. Ces “en-jeux évanescents” s'inscrivent dans un système complexe où l'on retrouve certaines problématiques centrales des pratiques artistiques, des pratiques culturelles et des sciences de l'art comme pratiques (méthodes et discours). L'éducation aux arts et par les arts telle qu'elle est définie à plusieurs échelles (par l'UNESCO, la Commission européenne, les programmes-socles...) est supposée articuler trois dimensions : une éducation artistique passant par la pratique concrète de plusieurs arts (une initiation au making, à la production d'artefacts ou d'événements, soit l'initiation aux pratiques de l'artiste, ou apprenti-artiste); une éducation esthétique (initiation à l'expérience sensible d'un répertoire d'objets ou d'événements “réputés artistiques”, ces répertoires eux-mêmes étant l'objet de débats); et enfin une éducation culturelle, qui selon une spécialiste du domaine (Bordeaux 2018), “est relati[ve] à la culture d'un art, à la réflexivité, à la distance critique, à l'expression des points de vue. Plutôt que ‘réfléchir' ou ‘comprendre', qui désignent des activités intellectuelles, nous préférons nommer ‘interpréter' ce troisième pôle, afin de bien marquer le fait qu'il s'agit d'une opération culturelle, au sens où l'entendait Michel de Certeau (1993), c'est-à-dire d'une production culturelle particulière, distincte de la réception et de la production artistique, mais intrinsèquement liée à elles”.
Ce modèle tridimensionnel, largement diffusé, prescrit à la fois un objet et un champ de pratiques complexes et sous-définies, au sens où les acteurs ne peuvent aisément transposer ni des savoirs savants ni des pratiques sociales de référence, car les unes et les autres ne lui préexistent pas. Certains “savoirs en jeu” sont potentiellement transposés des sciences de l'art (par exemple, les savoirs historiques ou sémiologiques), mais par exemple la discipline scolaire de l'histoire des arts n'a pas directement d'équivalent dans le monde académique, étant elle-même une critique et une extension de l'histoire de l'art universitaire. Et au-delà, quels sont les “savoirs” d'une éducation au sensible ou à la pratique d'un art, si la maitrise des techniques est secondaire et qu'on vise le développement de capacités moins formelles, d'attitudes de mémoires incorporées, etc. ?
L'approche proposée sera théorique, portant sur la nature des “contenus en-jeux”, en se focalisant sur la dimension esthétique de l'EAPA (le “sensible-comme-connaissance”, Filiod), qui pourrait relever d'une “didactique des dispositions”. L'appui sur diverses études de cas menées par l'auteur dans des contextes EAPA contrastés (musée/école, projet d'EAC en collège, programme macSUP...) permettra d'aborder ces questions théoriques à partir de ce que les acteurs identifient eux-mêmes comme des incidents critiques ou des gestes professionnels emblématiques ou problématiques (médiateurs, enseignants, intervenants). La méthodologie de ces études est qualitative : observations in situ et entretiens.
REFERENCES
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Bordeaux, M.-C. (2018). L'éducation artistique : Entre médiation culturelle et éducation non formelle. In D. Jacobi (Éd.), Culture et éducation non formelle (p. 33-46). Presses de l'Université du Québec.
Carraud, F. (2017). Expérimentation artistique et expérience professionnelle. Recherche & Formation, 86(3), 13‑25.
Chabanne, J.-C. (2018). Quels « signes » dans quels « langages » pour qui veut interroger la dimension esthétique d'une expérience ? Formes profanes, formes expertes. In M.-C. Beaudry, S. Brehm, & J.-F. Boutin (Éds.), Discours, usages, traces de l'expérience esthétique en contexte scolaire : Perspectives croisées (p. 85‑98). ÉDUS. http://hdl.handle.net/11143/14645
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Chabanne, J.-C. (2022a). Incitation, lanceur, consigne... Déclencher l'activité créative : Un art de faire professionnel ? In M. Brunel, C. De Smet, S. Raisin, & A. Dias-Chiaruttini (Éds.), Enseignement de la créativité et disciplines scolaires (Actes du colloque "La créativité dans le champ de l'enseignement et de la médiation", Nice, mars 2021). Presses universitaires du Septentrion.
Chabanne, J.-C. (2022b). Pourquoi tous les profs de littérature ne sont pas (formés comme) des écrivains ? Interrogations à propos d'un trépied bipède. In M.-S. Claude, J.-F. Massol, C. Ramero, N. Rouvière, & B. Shawky-Milcent (Éds.), L'enseignant lecteur-scripteur de littérature (Actes des XXes Rencontres des chercheurs en didactique de la littérature, Grenoble, juin 2021). Editeur à définir.
Chabanne, J.-C., Altmayer, S., Contal, R., Dosda, C., Kuntz, P.-E., Maige, I., & Royer, F. (2021). « Discuter des méthodes articulées au temps long » : (É)valuer après coup un parcours d'éducation artistique et culturelle, un « nouveau territoire » pour la TACD ? Actes du 2e colloque de la TACD, « Pour une reconstruction de la forme scolaire », Nancy, juin 2021, 8(Axe 4 : La TACD et l'exploration de nouveaux territoires), 37‑62. https://tacd-2021.sciencesconf.org/data/pages/TACD_2021_Actes_volume_8_final.pdf