« La pensée créatrice » en Arts Plastiques et Visuels : processus de transposition dans des activités de productions graphiques et picturales en classe.
Yves Barblan 1, @
1 : IUFE; Didactique des Arts et du Mouvement
Introduction:
Le Plan d'études romand (ci-après PER), cadre référentiel de l'enseignement romand, promeut des valeurs constructivistes de « développement de la personnalité par l'accès à la culture à travers le processus créatif » (CIIP, 2011, p.5 Domaine Arts). Pour soutenir cette perspective, le PER valorise un enseignement des arts au travers d'un « processus créatif » divisé en 4 axes interdépendants ; « expression et représentation », « perception », « acquisition de techniques », « culture », afin de permettre « une approche globale des finalités des Arts » (CIIP, 2011). Cette articulation permet d'ancrer la créativité́ dans un processus et de ne plus la considérer comme un don mais comme une capacité transversale « (...) donne(ant) à tout un chacun la possibilité́ d'apprendre à exercer sa créativité́ dans des domaines de prédilection, quels qu'ils soient » (Márquez, 2018, p.146). Dès lors la créativité devient un objet d'enseignement considéré comme « une aptitude fondamentale concernant l'ensemble des domaines de formations » (CIIP, 2011, p.6, Capacités Transversales). Bien que, selon le PER, « les liens entre le domaine Arts et la créativité paraissent évident » (CCIIP, 2011, p.8, Domaine Arts) nous nous posons la question suivante : comment sont organisés et transmis des savoirs propres à favoriser le développement de la pensée créatrice dans la pratique effective de leçons d'Arts Plastiques et Visuels (ci-après APV)?
Problématique:
Si les prescriptions ancrent l'enseignement des APV dans une démarche d'investigation où il est impératif de proposer un cours par « incitation » (Espinassy, 2018), elles laissent à l'enseignant une grande marge de manœuvre quant aux contenus à enseigner et aux ressources à développer pour concevoir son dispositif didactique. En résulte, selon Fabre (2015), « une faible désyncrétisation limitant le processus de transposition didactique » faisant que, « l'on enseigne l'art en artiste ». Selon Márquez (2018), les savoirs techniques seraient favorisés par les enseignants laissant la part « expressive » propre à la pensée créatrice et aux pratiques de références en suspens. Or, une orientation techniciste est susceptible de présenter aux élèves des savoirs décontextualisés (Mili & Rickenmann, 2005) et experts qui fournissent peu d'outils interprétatifs, peu d'appareil critique, peu de repères esthétiques. Entre la porosité entretenue avec la pratique de référence et le désir des enseignants de faire émerger quelque chose qui puisse être qualifié de personnel, d'original ou de réussi, il y a un espace à explorer. C'est pourquoi, il nous semble crucial de mener une étude sur la transposition didactique interne des objectifs, pour observer à quelles conditions des savoirs relatifs à la pensée créatrice sont rendus opératoires en leçon ordinaire d'APV ; comment l'enseignant favorise « des mises en situations permettant à chaque élève d'exercer » (CIIP, 2011, p.6, Capacités transversales) sa pensée créatrice et comment articule-t-il en termes curriculaires ces apprentissages ?
Cadre Théorique:
Afin de pouvoir étudier les phénomènes de transposition didactique et les mécanismes de fonctionnement de dispositif de cours ordinaires d'APV, nous avons adopté la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998-2011). Cette théorie modélise l'ensemble complexe des conditions et des interactions qui se nouent dans une situation d'enseignement entre maître-élève-savoir permettant la production, la communication et l'apprentissage de savoirs. Elle nous permettra de questionner et d'étudier les conditions d'apprentissages de savoirs associés à une démarche créative en nous attachant tout particulièrement aux milieux didactiques et aux contrats didactiques qui régissent ces situations (Brousseau, 1998-2011). En effet, en APV, selon Espinassy (2018), lorsque les savoirs se construisent et émergent de la pratique, le milieu didactique joue un rôle central de ressource pour la réalisation de la tâche.
Dans le cadre de nos analyses, nous nous proposons d'observer la transposition didactique de savoirs relatifs à la pensée créatrice selon la théorie de l'action conjointe didactique de Sensevy et Mercier (2007). Cette théorie nous permet de prendre en considération tout le système didactique qui est régi par des « transactions » dialogiques faisant évoluer le contrat, le milieu et le temps didactiques. Cette optique nous permet d'analyser finement l'organisation de dispositifs didactiques favorisant- ou pas – l'apprentissage de savoirs propices au développement de la pensée créatrice. Au vu de la généralité des instructions officielles, nous nous soucierons particulièrement du phénomène de transposition didactique interne, en observant les moyens mobilisés par les enseignants pour créer « les conditions de possibilité de l'apprentissage » (Chevallard, 1986). Cela implique notamment d'étudier la reconfiguration des savoirs issus de la pratique sociale de référence (Martinand, 1986) ainsi que la transformation des objectifs officiels en activité d'apprentissage. Et cela devrait nous permettre de saisir l'articulation entre les savoirs de références, les curricula et les savoirs enseignés à l'œuvre dans le phénomène d'enseignement/apprentissage.
Méthodologie :
La théorie de l'action conjointe didactique (Sensevy & Mercier, 2007) et ses 4 concepts génériques, permettant de décrire fonctionnellement l'action enseignante, nous permettra d'analyser nos données filmiques. Afin de rendre compte précisément de l'agir enseignant, de la dialectique entre les référents (formels/informels) et de la construction du savoir, nous articulerons l'analyse de notre corpus vidéo aux propos des enseignants recueillis lors d'entretiens d'explicitation. Cette technique d'entretien consiste à aider à la verbalisation des actions matérielles et/ou mentales mises en œuvre par un sujet lors d'une tâche effective (Vermersh, 1994). En raison du caractère implicite des connaissances pratiques, l'utilisation d'une méthodologie mixte nous semble nécessaire pour mettre à jour les objectifs réellement poursuivis ainsi que les savoirs et les savoir-faire réellement mobilisés, se produisant en situation d'enseignement/apprentissage. Notre population de recherche sera composée d'enseignants du secondaire 1 (soumis au PER) et d'enseignants du secondaire 2 (potentiellement soumis à d'autres directives) pour constater ou pas des différences quant au phénomène de transposition didactique.
Nos premiers résultats semblent confirmer la difficulté à rendre opératoire des savoirs favorisant la pensée créatrice.
BIBLIOGRAPHIE :
Brousseau, G. (1998). Théories des situations didactiques. Grenoble : La pensée sauvage.
Chevallard, Y. (1986). Les programmes et la transposition didactique – Illusions, contraintes et possibles. Bulletin de l'APMEP, 356, 32-50.
Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). (2011). Plan d'études romand. https://www.plandetudes.ch
Espinassy, L. (2018). « Soyez créatif et original » ! Entre le dire et le faire en cours d'arts plastiques au collège. In R. Rickenmann & I. Mili (Eds.), Didactique des arts : acquis et développement (pp. 95-106). Revue des HEP et institutions assimilées de Suisse romande et du Tessin, n°23.
Fabre, S. (2015). Didactique des Arts Plastiques : La question de la matrice disciplinaire. Recherches en didactiques, 19, 39-50.
Martinand, J.-L. (1986). Connaître et transformer la matière. Berne : Peter Lang.
Márquez, F. (2018). Créativité et création en arts plastiques et visuels. Analyse de deux attentes dans le parcours scolaire. In R. Rickenmann et I. Mili (Eds.), Didactique des arts : acquis et développement. Revue des HEP et institutions assimilées de Suisse romande et du Tessin, n°23, 143-158.
Mili, I., & Rickenmann, R. (2005). La réception des oeuvres d'art : une nouvelle perspective didactique. Revue suisse des sciences de l'éducation, no 27, 432-452.
Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l'action didactique. In G.sensevy, & A. Mercier (Éds.), Agir ensembles. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves dans la classe (pp. 13-49). Rennes : PUR.
Vermersh, P. (1994). L'entretien d'explicitation. Paris: ESF.