Comment faire évoluer le positionnement énonciatif de l'enseignant et des élèves dans le cadre de la découverte de la lecture documentaire en sciences ? Comparaison de deux séances en cycle 2 à propos du cycle de vie des plantes.
Véronique Magniant  1@  , Patricia Schneeberger  2@  , Martine Champagne  3@  
1 : LAB-E3D
Université Bordeaux
2 : LACES - IUFM d'Aquitaine Université Montesquieu Bordeaux IV
-
3 : IUFM Aquitaine
IUFM Aquitaine

Notre communication convoque la place de la lecture du texte documentaire en sciences et les gestes professionnels associés à cette pratique enseignante, dans le cadre d'un dispositif collaboratif. Si les textes institutionnels restent peu explicites à cet endroit, cette question a déjà fait l'objet d'un travail collaboratif entre praticiennes et chercheures, dans le cadre du LeA en 2018 (Champagne-Vergez, Schneeberger, Lhoste, Jouve et Magniant, 2023). Cette étude s'inscrit dans des travaux développés dans notre laboratoire de recherche par une approche épistémique et langagière des apprentissages disciplinaires.

 

Cadre théorique

 

La notion de curriculum est une construction intellectuelle (Crahay, Audigier et Dolz, 2006) qui interroge les objets d'enseignement et d'apprentissage au regard des pratiques sociales et humaines de référence, en vue d'organiser et de planifier des contenus d'enseignement. Différents niveaux de curriculums (Perrenoud, 1993) : formel, recommandé, réel ou réalisé, acquis, sont complétés par le curriculum enseigné. Ils sont supposés guider l'enseignement dans les classes, et influent d'autant plus sur les apprentissages des élèves que ces derniers relèvent d'un milieu prioritaire (Bautier, 2015 ; Poffé, Laschet et Hindryckx, 2015). Question cruciale, quand l'objet d'étude est au croisement de deux disciplines, le français et les sciences, à propos de la croissance et de la reproduction des plantes.
Au cycle 2 en France, au CP (6-7 ans), la lecture (avec une inflexion curriculaire sur le décodage depuis 2018) est l'objet d'injonctions détaillées. La lecture documentaire est récurrente et nécessaire dans d'autres domaines d'enseignement, sans donner d'autres précisions. La partie du domaine concernant le vivant (dont les plantes) est succincte, la spécificité de la lecture du texte documentaire en sciences n'est pas envisagée du point de vue des apprentissages scientifiques dans les documents officiels.

Pour comprendre comment un travail sur la lecture d'un texte documentaire contribue à construire des savoirs et des pratiques scientifiques pour des élèves du primaire, nous mobilisons des concepts issus des sciences du langage :
-la position énonciative, composante d'une acculturation à « plusieurs têtes » : à la lecture de texte documentaire et scientifique (Pautal et Schneeberger, 2015). La notion de position énonciative repose sur l'idée que la mise en œuvre des modes de parler vise à élaborer des contenus nécessaires à la participation de chaque individu à une communauté discursive spécifique (Bernié 2002, Jaubert, 2007). L'acquisition d'une position énonciative ancrée dans le monde scientifique, à propos du concept de reproduction des plantes à fleurs (objet de savoir), se rapproche de l'usage du langage pratiqué dans le monde scientifique, en répondant à la double contrainte des exigences linguistiques et de la pertinence de l'argumentation du point de vue scientifique (Rebière, Schneeberger, Jaubert, 2008) ;
- l'analyse des gestes langagiers didactiques de l'enseignant (Lhoste et Champagne, 2019) s'inscrit dans des scénarios récurrents. Ces gestes et scénarios favorisent l'accès à un discours scientifique via la schématisation, la thématisation et le tissage.

 

Problématique

Nous cherchons à caractériser les gestes professionnels mobilisés au cours de l'initiation à la lecture de texte documentaire scientifique, du point de vue de la didactique du français et du point de vue de la didactique des sciences, au-delà du décodage des mots, par un travail :

- sur le lexique, sur la compréhension et l'interprétation ;

- sur la structure du document (sens de lecture, articulation entre texte et image).

Nous cherchons à montrer comment la lecture documentaire est éclairée par des enjeux d'apprentissage scientifique, perceptibles par le biais du changement de registre de discours de l'enseignante.

 

Méthodologie

L'enseignante de Cours Préparatoire exerce dans une école de milieu prioritaire. Nous comparons deux séquences conduites à une année d'intervalle, sur le même objet d'enseignement. Entre les deux séquences, un travail d'analyse a été conduit, interrogeant la pratique d'enseignement en sciences, lors de la lecture d'un documentaire scientifique. Comment l'enseignante combine-t-elle la construction de savoirs scientifiques et l'appropriation de pratiques de savoirs spécifiques aux sciences ?

Le corpus est constitué des transcriptions des enregistrements vidéo de deux séances et des entretiens pré et post avec l'enseignante, sous forme de confrontation croisée (Clot, Faïta et al 2000). Notre focale porte sur l'évolution du positionnement énonciatif de l'enseignante (et de l'élève).

 

Résultats

La comparaison des deux séances met au jour la construction de gestes professionnels acculturants, pour construire des manières d'agir-parler-penser spécifiques à la sphère scientifique via des discours explicatifs au sein de scénarios récurrents. L'analyse a priori de l'enseignante sur deux schémas différents utilisés évolue, à la fois sur le volet scientifique et sur le volet langagier. Par exemple, la notion de fruit se construit sur le plan anatomique et sur le plan temporel. La façon d'articuler ces dimensions renseigne sur la prise en compte des obstacles à la construction de la notion. De même, du point de vue langagier, nous observons des choix et des prises en charge différents (décoder, nommer versus décrire, justifier, ... d'une année à l'autre).

Dans la perspective curriculaire en sciences, être en mesure d'aborder la diversité du monde du vivant et d'en appréhender les fonctions communes (la reproduction des plantes), renvoie à des modalités énonciatives diverses, selon les enjeux prioritaires identifiés par les enseignants au cours des différents cycles de l'école primaire.

Nous projetons la construction d'outils pour la formation des enseignants à partir de l'analyse d'enregistrements vidéo, dans le but d'interroger la signification de l'écrit par une négociation orale avec les élèves, par le biais de « scénario d'enseignement en sciences » à propos de la lecture de documents scientifiques, intégrée dans une démarche.

 

 

Bibliographie

 

BAUTIER, É. (2015). “ Quand la complexité des supports d'apprentissage fait obstacle à la compréhension de tous les élèves ”. In Spirale-Revue de recherches en éducation, 55(1), pp. 11–20.

 

BERNIÉ, J.-P. (2002). “ L'approche des pratiques langagières scolaires à travers la notion de ‘communauté discursive' : un apport à la didactique comparée ? ” In Revue française de pédagogie, 141(1), pp. 7788.

 

CHAMPAGNE-VERGEZ, M., SCHNEEBERGER, P., LHOSTE Y., JOUVE, A. & MAGNIANT, V., (2023). “ Les apports d'une recherche collaborative sur la lecture documentaire en sciences ”, communication au REF 2019 de Toulouse, PULG de Liège.

 

CLOT, Y., FAÏTA, D., FERNANDEZ, G. & SCHELLER, L. (2000). “ Entretiens en autoconfrontation croisée : une méthode en clinique de l'activité ”, in Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne].
DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.3833

 

CRAHAY M., AUDIGIER F., DOLZ J. (2006) : « Introduction. En quoi les curriculums peuvent-ils être objets d'investigation scientifique ? » In F. Audigier, M. Crahay et J. Dolz (Éd.). Curriculum, enseignement et pilotage, (7-37). Bruxelles : Deboeck.

JAUBERT M. (2007). Langage et construction de savoirs à l'école, un exemple en sciences, Presses Universitaires de Bordeaux. 

 

LHOSTE, Y. & CHAMPAGNE, M. (2019). « Quel apport de la notion de contexte aux recherches comparatistes en didactique ? Analyse comparée de situations d'enseignement-apprentissage en sciences de la vie et en français à l'école élémentaire », in I. Verscheure, M. Ducrey Monnier & L. Pelissier. Enseignement et formation : éclairages de la didactique comparée, Presses universitaires du Midi, pp.45-60

 

PAUTAL, É. & SCHNEEBERGER, P., (2015). “Des usages de supports scientifiques producteurs d'inégalités Une étude de cas à propos de la circulation du sang”. In Spirale, 55 (1), pp .79–91.

PERRENOUD, P. (1993). Curriculum : le formel, le réel, le caché, in J. Houssaye (dir.) La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd'hui, Paris, ESF, 1993, 2e éd. 1994, pp. 61-76.

 

POFFÉ, C., LASCHET, M. & HINDRYCKX, M.-N., (2015). “Les supports pour l'étude fournis à l'élève en sciences biologiques sont-ils créateurs d'inégalités scolaires ? Étude exploratoire de productions de futurs enseignants en Fédération Wallonie- Bruxelles (Belgique)”. In: Spirale. Revue de recherches en éducation, n°55, Supports et pratiques d'enseignement : quels risques d'inégalités ? pp. 137-152. DOI: https://doi.org/10.3406/spira.2015.1029

 

REBIÈRE, M., SCHNEEBERGER, P. & JAUBERT, M. (2008) “Changer de position énonciative pour construire des objets de savoirs en sciences : le rôle de l'argumentation”. In C.BUTY et C.PLANTIN, Argumenter en classe de sciences, du débat à l'apprentissage. Lyon : INRP, pp. 281-329.

 



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