S6 –Dispositifs d'enseignement et savoirs transversaux - Débat d'idée en EPS et inégalités scolaires
Marie-Paule Poggi  1@  , Gilles Marrot  1@  
1 : CRREF

Débat d'idée en EPS et inégalités scolaires

MP. Poggi et G. Marrot

Université des Antilles, CRREF (EA 4538), INSPE de Guadeloupe

 

Introduction

Cette communication s'intéresse à un type particulier d'organisation des savoirs dans les curriculums, le débat d'idées (DI), fréquemment utilisé dans l'enseignement de l'éducation physique et sportive (EPS). Ce DI se présente comme une mise en forme scolaire d'un échange verbal argumenté et contradictoire fondé sur la pratique et visant un retour lucide et bonifié à la pratique. S'il renvoie à un « exercice langagier de prise de parole en public » (Tozzi, 2005), d'échange interactif contradictoire ou encore d'apprentissage de la citoyenneté et de la réflexivité, le DI vise d'abord l'apprentissage de savoirs et savoir-faire propres à la discipline. Les élèves sont invités à rendre visible leur « logique pratique » (Bourdieu, 1980 ; Lahire, 1998) afin d'améliorer la compréhension et l'efficacité de leurs actions.

 

Cadre théorique

La pratique du débat et de la discussion en classe vise des effets d'ordre transdisciplinaire et disciplinaire : les élèves vont à la fois apprendre à débattre et débattre pour apprendre. A l'instar d'Orange (2005), nous considérons le débat comme « situation-problème » dont le dépassement de l'obstacle produit l'apprentissage et comme « problème ouvert » dont le but est l'apprentissage d'une démarche d'enquête et de recherche, de compétences langagières argumentatives ou encore plus largement de formes de socialisation démocratique. Ainsi, il place au centre l'une des missions fondamentales de l'école : stimuler la puissance d'agir et de penser des individus. Il interroge fondamentalement son rôle de socialisation démocratique et la « façon dont le pouvoir des mots peut engager des individus dans des processus émancipateurs » (Nordman, 2006, p. 14) potentiellement réducteurs d'inégalités.

Le rapport distancié au monde qu'autorise le DI conduit à dépasser les processus de dépossession et d'auto privation (Bourdieu, 2012) limitant l'espace des possibles des élèves les plus défavorisés dont la réticence à prendre la parole en classe constitue un obstacle au dépassement des inégalités d'accès aux savoirs. Comment enseignant et élèves définissent les contours de cette forme scolaire du débat en EPS pour en faire un outil de conquête et d'expression d'un pouvoir d'agir et de penser également partagé entre tous les élèves, quelle que soit leur position sociale ? Cette question de recherche positionne notre propos dans une approche de type socio-didactique centrée sur les processus de production des savoirs scolaires en situation authentique de classe, sans ignorer leurs conditions sociales de production.

Questions de recherche

Nous faisons l'hypothèse que, avec le DI, il n'y a pas d'opposition entre éduquer à penser et transmettre des savoirs ; savoirs transversaux et disciplinaires se co-construisent au sein du dispositif. Dans quelle mesure le DI contribue-t-il au droit à l'expression et aux savoirs pour tous, à la lutte contre les processus de dépossession et d'auto privation des savoirs et donc à la réduction des inégalités scolaires ?

Pour cela, nous analysons les spécificités de cette forme scolaire : la diversité des types d'engagement de l'enseignant et des élèves lors de sa mise en œuvre, les modalités de co-construction des savoirs en situation ainsi que les malentendus et attentes contradictoires qu'il produit. Du côté des élèves, la diversité des formes d'implication, d'appropriation et d'exploitation du débat se manifeste par des gestes d'études plus ou moins ajustés aux attentes de l'enseignant. Par ailleurs, la forte prégnance de la forme scolaire (Chervel, 1998, 2004) semble s'atténuer au contact des résistances des élèves ou sous la pression de l'avancée du temps didactique conduisant à des reconstructions en situation. « Poreuse » et « brouillée » sous l'effet d'une invisibilisation croissante de ses attentes et contraintes (Bautier et Rayou, 2009), l'emprise de la forme scolaire semble s'atténuer.

Méthodologie

Le dispositif de collecte des données associe des entretiens enseignant ante et post (type auto-confrontation) et trois observations consécutives de leçons d'EPS en basket-ball. Ces dernières s'organisent sous la forme de DI entre élèves dans le cadre de groupes d'échanges restreints alternant avec des séquences de jeu. Deux enseignants intervenant en classe de CM2, dans deux contextes sociologiquement contrastés, ont pris part au projet.

Résultats attendus

Les données étant en cours de traitement, nous ne présentons ici qu'un aperçu des tendances observées. Les élèves sont soumis à des injonctions contradictoires : incorporer les normes scolaires tout en s'autorisant à s'en émanciper en exprimant leur point de vue et en révélant leurs préoccupations. Leur expérience scolaire, manifestée par leur implication dans le débat, n'est déterminée ni exclusivement par leur position sociale (inégalités de bagage linguistique), ni par l'action didactique laissée à l'initiative de l'enseignant, elle évolue et se co-construit de façon dynamique au cours de l'interaction. Ainsi le DI semble perméable autant à l'inertie des contextes qu'aux dynamiques des situations. Il nous faudra comprendre dans quelles circonstances et pour quelles raisons les élèves s'autorisent à développer une pensée stratégique tendant à rendre prévisible le jeu, ou au contraire résistent mettant sous l'effet de malentendus à propos des apprentissages à réaliser.

 

Conclusion

Le débat en classe peut constituer un remarquable outil de rupture avec les inégalités scolaires, une occasion donnée à l'école de contrarier la reproduction de l'ordre social. Il donne accès aux élèves la maitrise de leur expérience et la possibilité de s'autoriser à acquérir des capacités d'auto analyse. Il permet à l'école de remplir pleinement ses missions dans la mesure où « L'apprentissage scolaire [...] est l'occasion d'acquérir la disposition permanente à opérer la mise à distance du réel directement perçu qui est la condition de la plupart des constructions symboliques » (Bourdieu, 1997, p. 29).

 

 

Bibliographie

Bautier, E. et Rayou, P. (2009). Les inégalités d'apprentissage : programmes, pratiques et malentendus scolaires. PUF.

Bourdieu, P. (1980). Le sens pratique. Editions de Minuit.

Bourdieu, P. (1997). Méditations pascaliennes. Seuil.

Bourdieu, P. (2012). Sur l'État. Cours au Collège de France. 1989-1992. Seuil.

Chervel, A. (1998). La culture scolaire. Une approche socio-historique. Belin.

Chervel, A. (2004). Recherches sur la socialisation démocratique. Presses Universitaires de Lyon.

Lahire, B. (1998). Logiques pratiques. Le « faire » et le « dire sur le faire ». Recherche et formation, 27, 15-28.

Nordman, C. (2006). Bourdieu / Rancière. La politique entre sociologie et philosophie. Editions Amsterdam.

Orange, C. (2005). Problème et problématisation dans l'enseignement scientifique. Aster, 40, 3-12.

Tozzi, M. (2005). Les pratiques de discussion à visée philosophique. À l'école primaire et au collège : enjeux et spécificités. https://www.cahiers-pedagogiques.com/les-pratiques-de-discussion-a-visee-philosophiquea-l-ecole-primaire-et-au-college-enjeux-et-specificites/

 



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