L'introduction et le développement d'un enseignement de l'informatique dans le milieu scolaire s'inscrit à la fois comme une volonté politique mais aussi comme une évolution sociale et technologique. Par le passé, en France, cet enseignement a déjà connu plusieurs réformes. Baron et Bruillard (1996) distinguent quatre grandes phases dans la prise en compte de l'informatique par les institutions scolaires, en retenant des caractéristiques sociales, matérielles et politiques pour en décrire les évolutions. Pour chacune de ces phases, des formations étaient proposées aux enseignants, de durées plus ou moins longues. Après sa disparition, à la fin des années 90, l'enseignement de l'informatique est de nouveau inscrit dans les programmes de l'école primaire française, depuis 2015.
A la lecture des nouvelles prescriptions, cet enseignement a une visée triple : éduquer les élèves à une culture technique, en leur donnant les moyens de comprendre les traitements réalisés par les systèmes qu'ils utilisent, les initier à des notions en informatique (Baron et Drot-Delange, 2016), et servir certains apprentissages mathématiques (par exemple, représenter des déplacements dans divers espaces, programmer pour comprendre et produire des algorithmes simples. Les fournisseurs de matériels scolaires proposent, quant à eux, une gamme de robots de sol, laissant aux enseignants des choix didactiques, ces artefacts ayant un impact sur les contenus pouvant être abordés. Nous nous intéressons, ici, aux enseignants, à leurs choix, à leurs pratiques réelles ou envisagées en fonction de ce qu'ils comprennent des évolutions curriculaires prescrites. Ces choix et pratiques dépendent des finalités que chaque enseignant attribue à cet enseignement (Vandevelde et Fluckiger, 2020). Ils dépendent aussi de l'histoire propre de l'enseignant, et, plus largement, de ce qui relève d'une « composante personnelle » (Robert et Rogalski, 2002) : la formation de l'enseignant, ses convictions, sa pratique antérieure qui vont être déterminants dans les pratiques, etc.
Cadres théoriques
Comprendre ces choix, didactiques et pédagogiques, opérés par les enseignants, confrontés aux évolutions curriculaires, et les pratiques qui en découlent, nécessite ainsi de croiser plusieurs regards, ancrés dans nos disciplines respectives, en didactique des mathématiques, de la technologie et de l'informatique. En effet, à l'école primaire, les élèves découvrent et se familiarisent avec le monde scolaire mais également socio-technique par différentes approches, scientifiques et technologiques (Grugier, 2020). Dans une perspective de didactique comparée, pour étudier les pratiques des enseignants dans le cadre de l'enseignement de l'informatique à l'école, nous examinons les représentations de ces derniers en croisant : un cadre théorique issu de la didactique des mathématiques (les organisateurs de l'activité enseignante de Robert et Rogalski, 2002) et un cadre issu de la didactique de la technologie pour caractériser la nature technique de ces activités (technicité de Combarnous, 1984 ; Grugier, 2021), cadre adapté au cas de l'enseignement de l'informatique scolaire (Fluckiger, Haspekian et Grugier, 2021).
Méthodologie
Cette communication s'appuie sur des données issues du projet de recherche ANR IE CARE (2018-2023). Dans le cadre d'une enquête menée sur les pratiques « ordinaires », nous avons mené des entretiens semi-directifs avec 11 enseignants (1h chacun). Nous avons été attentifs à ne pas nous limiter à des profils d'enseignants enthousiastes pour ces contenus, ou qui les mettent en œuvre, en recuillant ainsi les propos d'enseignants dubitatifs, ou peu intéressés, voire qui se disent réfractaires. Pour repérer à la fois des variations dans les pratiques d'une mise en œuvre d'un enseignement de l'informatique et caractériser les choix qui conditionnent cet enseignement, nous nous appuierons également sur l'analyse de 69 réponses provenant d'un questionnaire auprès d'enseignants. Nous cherchons alors à identifier les variations et les non-variations (Bru, 2002), afin de rendre compte des processus et des contenus en jeu. Une hypothèse est que la diversité des enseignants et des contextes matériels laisse supposer une variété de mise en œuvre et que le matériel choisi par les enseignants ou les décideurs conditionnent ces mises en œuvre dans les classes. Néanmoins, cette communication ne mesure pas les effets en termes d'apprentissages des choix didactiques.
Premiers résultats
Un des résultats est que les enseignants, qu'ils soient réfractaires ou enthousiastes, sont majoritairement plutôt d'accord pour suivre des formations permettant de mettre en œuvre un enseignement de la programmation.
L'analyse montre également que les enseignants ont conscience de certains enjeux concernant un enseignement de l'informatique, notamment celui de la connaissance de la programmation, mais ont tendance à identifier des enjeux plutôt pragmatiques, liés aux usages du numériques, que des apprentissages notionnels, que ce soit sur la programmation ou le fonctionnement des artefacts. Ils s'attribuent alors un rôle minime car ils pensent que les élèves utilisent déjà des matériels informatiques dans le milieu familial et disposent, de ce fait, de plus de connaissance manipulatoire qu'eux-mêmes.
Les analyses montrent aussi que la dimension personnelle occupe une place prépondérante, comme lors de tout changement professionnel, dans la perception et la mise en œuvre d'un enseignement de l'informatique, déterminant plus fortement les choix et pratiques réelles ou envisagées que la dimension, par exemple, institutionnelle (les programmes et prescriptions), ou sociale (les évolutions sociétales, technologiques etc.).
De plus, les enseignants choisissent de déléguer l'achat des matériels, à la collectivité territoriale ou à la circonscription d'inspection ce qui a une incidence sur les contenus qui pourront être abordés avec les élèves. Ceci laisse penser, à nouveau, que les enseignants ne se sont pas emparés ni des apprentissages notionnels que ces outils embarquent (la dimension cognitive entre donc peu en jeu dans les choix et les pratiques envisagées), ni des manières de faire, organisations et déroulements de séances qu'ils favorisent (la dimension médiative entre donc, elle aussi, peu en jeu).
Enfin, se pose la question de la place de cet enseignement récent au regard des autres domaines disciplinaires. Ces enseignants, non spécialistes, perçoivent la possibilité de travailler le domaine des mathématiques (comme certaines opérations à l'aide du logiciel Scratch, des notions de spatialisation avec des robots, etc.) ou encore le domaine de la technologie, avec la manipulation d'objet, comme le montraient d'autres recherches sur l'usage de Scratch pour travailler le domaine du français ou celui des robots pour des projets interdisciplinaires (Haspekian et Gélis, 2021).
Baron, G.-L., et Bruillard (1996). L'informatique et ses usagers dans l'éducation. Presses Universitaires de France.
Baron, G.-L., et Drot-Delange, B. (2016). L'informatique comme objet d'enseignement à l'école primaire française ? Mise en perspective historique. Revue française de pédagogie, 2, 51-62.
Bru, M. (2002). Pratiques enseignantes : des recherches à conforter et à développer. Revue française de pédagogie, 138, 63-73.
Combarnous, M. (1984). Comprendre les techniques et la technicité. Editions sociales.
Fluckiger, C., Haspekian, M. et Grugier, O. (2021, novembre). Enseigner l'informatique à l'école primaire : comment les enseignants voient les sujets didactiques. Colloque eTIC 4, Caen, France
Grugier, O. (2021). Éducation technologique dans des classes de maternelle. Apprentissages premiers dans l'utilisation et la compréhension d'un artefact robotisé. Recherche en Didactique des Sciences et des Technologies, 22, 61-92 https://doi.org/10.4000/rdst.3328
Haspekian, M. & Gélis, JM. (2021). Introduction de l'informatique dans les programmes de mathématiques : nouveaux outils, nouvelles pratiques ? Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Education et la Formation, 28(1), 1-37.
Robert, A., & Rogalski, J. (2002). Le système complexe et cohérent des pratiques des enseignants de mathématiques : une double approche. La Revue canadienne de l'enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies, 2(4), 505-528.
Vandevelde I., Fluckiger C. (2020) L'informatique prescrite à l'école primaire. Analyse de programmes, ouvrages d'enseignement et discours institutionnels. Colloque International Didapro-DidaSTIC 8, Lille, 5-7 février 2020
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