Si « l'institutionnalisation transforme une expérience en un savoir exportable » (Brousseau, 1984, p.4), nous nous interrogeons ici sur l'effet de cette transformation sur le savoir enseigné Nous nous intéressons à ce qu'il reste de ce qu'on a appris, une fois tout oublié. Que reste-il de ce que nous étions censés apprendre à l'école ? D'un savoir savouré pour les problèmes et casse-têtes grâce à l'inscription au Kangourou des maths[1] à l'historienne que nous étions devenue en réalisant la biographie d'un député de la 3e République en licence, etc. ; ces exemples, montrent que certains savoirs, plus que d'autres ont laissé des traces. Nous cherchons à comprendre pourquoi et comment certains savoirs sont ancrés durablement et ont contribué à ce que nous sommes aujourd'hui. Comment peut-être ont-ils des effets sur notre façon d'enseigner parfois sans que nous nous en rendions compte ? Cette communication visera à interroger l'influence de la trace marquante d'un savoir intégré, savouré sur les conditions du processus sur la pratique de l'enseignant. Nous émettons l'hypothèse d'une part que l'institutionnalisation, au sens des « processus par lesquels l'enseignant amène les élèves eux-mêmes à reconnaitre les apprentissages réalisés » (Reuter et al, 2007, p.119), est autant issue d'une motivation intrinsèque liée à la saveur des savoirs (Astolfi, 2008) qu'extrinsèque (effet professeur, contexte exceptionnel, etc.). Nous cherchons, à ce titre, à comprendre ce qui rend marquant spécifiquement un savoir. Par ailleurs, nous supposons que le savoir institutionnalisé durablement chez le sujet enseignant le marque dans son rapport au savoir et dans sa pratique d'enseignement, quelle que soit la discipline enseignée et le savoir intégré.

C'est au filtre des cadres de la didactique clinique et en mobilisant une « théorie du sujet didactique » (Terrisse, Carnus, 2009, Buznic-Bourgeacq, 2013) que nous menons cette recherche considérant la nécessité d'une prise en compte du sujet didactique (Buznic-Bourgeacq, 2020) qui permet non pas de produire des lois de fonctionnement, mais de construire le sens des phénomènes humains. En effet, G. Brousseau (1998) montre que toute situation est le lieu d'expression de contrat didactique, contrat bien souvent implicite. Or, une partie du contrat en jeu renvoie selon C. Blanchard-Laville « aux ressorts inconscients de la dynamique pédagogique » (1989, p. 65). Ses travaux posent comme objet d'étude la part de déterminisme « induit par la dimension de l'inconscient, qui pèse sur les comportements des protagonistes de l'acte didactique à leur insu ». Notre communication ne vise pas à produire un savoir généralisable car l'enjeu d'une « clinique du sujet » est d'aller à la rencontre de celui-ci, pour extraire du singulier des éléments de compréhension (Buznic-Bourgeacq, 2020). C'est à ce titre que ce travail portera sur l'analyse clinique de récits de pratique (Carminatti, N., Gomez-Gauthié, C. ; 2022). Si, comme le rappelle Buznic-Bourgeacq (2020, p.87), le chercheur clinicien mobilise des qualités d'écoute, où l'on n'écoute pas seulement ce qui se dit mais aussi « ce qui ne se dit pas », l'objectif d'une analyse clinique de récits de pratique sera de comprendre ce qui s'écrit mais aussi ce qui ne s'écrit pas pour produire une structure favorisant la compréhension du singulier.

Notre étude cherchera donc à rendre compte d'un processus de remaniement, résultat d'un passage à l'écrit, pour faire émerger à l'insu du sujet un élément retravaillé. Ces éléments ne rendent pas compte de la réalité mais, comme l'explique Carminatti et Gomez-Gauthié (2022) de la façon dont celui qui l'écrit va scénariser ce qu'il écrit. Nous tenterons alors de comprendre comment le « déjà-là décisionnel » (Carnus, M.-F., 2015) du sujet influence ses pratiques d'enseignement.

Notre communication s'appuiera sur un corpus recueilli entre septembre 2022 et juin 2023. C'est à partir d'un questionnaire adressé à des enseignants volontaires que nous tenterons de savoir comment le contexte d'institutionnalisation, le contexte désignant ici le cadre de la phase d'institutionnalisation, ses acteurs, sa temporalité, etc., donnent de la saveur au savoir intégré dans le passé, favorisant un ancrage durable et comment ces savoirs ancrés agissent à son insu sur la pratique de l'enseignant. Nous tenterons par ailleurs, selon les profils recueillis, d'identifier s'il y a ou non des spécificités disciplinaires.

Références bibliographiques