Les analyses de manuels (Brodeur, 2011 ; Lanier, 2014) montrent que les contenus de l'histoire scolaire demeurent essentiellement masculins. Cet androcentrisme des savoirs concourt, parmi d'autres facteurs, à la socialisation différenciée produite par l'école, et ainsi à la perpétuation des inégalités en matière d'orientation et de choix professionnels.
Toutefois, se développent depuis quelques années des expériences qui introduisent des thématiques d'histoire des femmes et du genre dans les moyens d'enseignement. Ces initiatives se réfèrent à une production historiographique désormais très riche (Thébaud, 2007), qui s'intéresse aux rapports sociaux de sexe et à la construction du féminin et du masculin. La mobilisation de la catégorie d'analyse du genre par les historien.ne.s fait écho à un contexte sociétal et médiatique mouvementé, traversé de débats et marqué à la fois par des changements rapides et par des inégalités persistantes. Ainsi, enseigner le genre nécessite de le considérer comme une question socialement vive (Legardez et Simonneaux, 2006) ou comme un objet difficile (Moisan, Ethier, Hirsch et Lefrançois, 2022).
Bien qu'Internet fournisse une grande quantité de ressources pédagogiques, celles-ci demeurent difficiles à évaluer pour les enseignant∙e∙s, ne sont pas toujours rattachées spécifiquement aux programmes et aux contextes spécifiques, et adoptent rarement une grille d'analyse féministe (Fine-Meyer et Llewellyn, 2018). Qui plus est, des recherches montrent que les enseignant∙e∙s et les candidat∙e∙s à l'enseignement ne réfléchissent pas toujours aux questions de genre et, lorsqu'iels abordent ces questions dans une classe d'histoire, ont tendance à renforcer les stéréotypes (Engebretson, 2019 ; Scheiner-Fisher et Russell, 2015). L'expertise de spécialistes en histoire des femmes et du genre et en didactique constitue un atout important à la création et à la diffusion de matériel pédagogique venant pallier certaines de ces difficultés.
Cette communication se fonde sur des données liées à la création de moyens d'enseignement dans deux contextes :
1) des plans de leçons pour les écoles secondaires canadiennes (14-17 ans), en français et en anglais, sur l'histoire des femmes au Canada, à partir du livre Framing Our Past : Constructing Canadian Women's History in the Twentieth Century
2) des séquences d'histoire du genre pour les élèves du secondaire I (12-15 ans) du canton de Vaud.
Nous procéderons à une analyse comparative de ces ressources didactiques. Dans un premier temps, nous comparerons les conditions de création, les méthodes de collaboration au sein des équipes et les choix faits en fonction des contextes respectifs. Nous présenterons aussi les similitudes et différences méthodologiques et l'impact de ces dernières sur la production du matériel didactique. Nous exploiterons également l'évaluation qu'en auront faite des étudiant.e.s en formation, dont certain.e.s les auront fait passer dans leurs classes de stage. Ces éléments permettront de répondre aux questions suivantes: Dans quelle mesure les ressources didactiques analysées permettent une mise en œuvre de la pensée historienne qui conduise à une compréhension du genre ? Dans quelle mesure elles peuvent contribuer à un travail sur les finalités éducatives liées à l'égalité ?
Nous les examinerons les ressources didactiques en prenant comme critères les apports et limites de l'histoire des femmes et du genre tels que nous les avons théorisés lors d'une précédente recherche (Brunet et Opériol, 2022). Ainsi, nous nous pencherons sur les enjeux épistémologiques, didactiques et citoyens que peuvent viser les thématiques de genre, ainsi que sur les obstacles et les risques qu'elles font courir, plus particulièrement à partir des éléments suivants :
- La dimension politique est-elle assumée ? Les séquences tiennent-elles compte du genre en tant que question socialement vive ? La domination, le rapport hiérarchique, les inégalités et discriminations sont-elles explicites, édulcorées, passées sous silence ?
- La dimension constructiviste est-elle travaillée ? Y a-t-il des éléments qui permettent une historicisation (périodisation, comparaison passé-présent) et ainsi une dénaturalisation de la différence des sexes ?
- Dans quelle mesure les femmes sont-elles présentées comme agentes ou comme victimes ?
Nous examinerons également les limites et dérives potentielles, telles que le renforcement des stéréotypes et des catégorisations, les appropriations téléologiques ou anachroniques, la dépolitisation des rapports de domination et la confusion dans les sources entre représentations et réalité.
Ces multiples éléments permettront de poser un regard critique sur la mise en place de séquences didactiques, dans deux contextes, visant des finalités éducatives liées à l'égalité et à l'émancipation vis-à-vis des rôles et des normes de genre.
Références bibliographiques :
Brodeur, R. (2011). "Un homme sur deux est une femme". Intégrer le genre dans les manuels d'histoire de la civilisation occidentale au collégial : quelques propositions. Montréal : M.A., Université de Montréal.
Brunet, M.-H. et Opériol, V. (2022, à paraitre). Affronter l'androcentrisme des savoirs scolaires : enseigner l'histoire au prisme du genre. Dans S. Moisan, M.-A. Ethier, S. Hirsch et D. Lefrançois, Enseigner les objets difficiles en sciences humaines et sociales. Montréal : Fides.
Engebretson, K. (2019). Untangling sexism and classism: attempting complex discussion about sexual violence in teacher education, Gender and Education, 33(2), 217-234.
Fine-Meyer, R. et Llewellyn, K. (2018). Women Rarely Worthy of Study: A History of Curriculum Reform in Ontario Education. Historical Studies in Education, 30(1), 54-68.
Lanier, V. (2014). Les femmes dans les manuels d'histoire de collège. Actes du Colloque Manuels scolaires, genre et égalité (pp.8-10). Paris : Centre Hubertine Auclert.
Legardez, A. et Simonneaux, L. (Ed.) (2006). L'école à l'épreuve de l'actualité. Enseigner les questions vives. Paris : ESF.
Moisan, S., Ethier, M.-A., Hirsch, S. et Lefrançois, D. (Ed.). (2022, à paraitre). Enseigner les objets difficiles en sciences humaines et sociales. Montréal : Fides.
Scheiner-Fisher, C. et Russell, W. B. (2015). The Inclusion of Women's History in the Secondary Social Studies Classroom. International Journal of Historical Learning, Teaching and Research, 13(1), 97-117.
Thébaud, F. (2007). Ecrire l'histoire des femmes et du genre. Lyon : Ecole normale supérieure Lettres et sciences humaines.
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