Les descriptions et analyses de l'expérience de la subjectivité dans la revue Éducation & didactique. Étude comparative.
Bruno Védrines  1@  
1 : GRAFE

Dans le cadre de l'axe 1, ma proposition de communication consiste à porter l'attention sur la question de la subjectivité, en travaillant à partir du corpus intégral de la revue Éducation & didactique

Je fais l'hypothèse qu'une recherche par mots-clés « sujet », « subjectivité », « assujettissement » doit permettre de mieux comprendre le sens de ces termes dans l'étude des systèmes didactiques avec leur logique, leur histoire, et leurs normes spécifiques. D'un point de vue méthodologique, mon intention est avant tout comparatiste, et je retiendrai principalement les occurrences qui témoignent des régularités et des tensions dans la manière dont les chercheur-ses se situent vis-à-vis des questions épistémologiques et critiques sur la question de la subjectivité. 

À ce titre, il sera intéressant de confronter les analyses des contributeur-trices de la revue à des approches critiques philosophiques (Althusser, 2011; Macherey, 2014), et didactiques (Chevallard, 1991 ; Schubauer Leoni, 1997 ; Araya-Chacòn, 2008 ; Buznic-Bourgeacq, 2015, Daunay, 2016 ; Bronckart & Schneuwly, 2016 ; etc.). Il s'agira d'étudier comment ces analyses sont liées aux perspectives et aux références critiques convoquées par les auteurs-rices des articles, mais aussi à la dimension disciplinaire de la pratique observée. Se posera alors la question de savoir dans quelle mesure chaque système didactique disciplinaire (que ce soit celui des mathématiques, du français, de l'EPS, ou de toute autre discipline) peut promouvoir des formes de subjectivité similaires et spécifiques. Cette démarche doit également permettre de tirer des éléments de réflexion contribuant à une théorie de la subjectivité, sans tomber dans le piège d'analogies et de généralisation abusives. 

La question centrale consistera donc à établir quelles sont les catégories pertinentes pour rendre compte de la subjectivité dans un système didactique. La subjectivité, dans une telle perspective, n'est pas considérée de manière générale ou absolue, mais à partir d'un point de vue qui l'observe en situation, situation dans laquelle peuvent être expérimentées des possibilités et des impossibilités d'être un sujet, des possibilités et des impossibilités d'action, et ceci éventuellement de manière plus consciente et libre. 

C'est ainsi qu'une telle réflexion ouvrira logiquement sur le sens que peut prendre la question politique et éthique de l'émancipation des élèves dans et par un système scolaire. Sur ce point, il me semble que les travaux d'un philosophe comme Rancière et d'un psychologue comme Vygotskij s'avèrent d'un apport précieux. Rancière est sans doute l'un des philosophes qui a été le plus sensible aux rapports de pouvoir liés au savoir et son itinéraire intellectuel l'atteste ; son argumentation en faveur d'un partage du « pouvoir égal de l'intelligence » (2005, p. 106) peut prendre une portée considérable pour une approche didactique. Sur le plan du développement psychique, Vygotskij, quant à lui, n'élude pas le problème complexe posé par une définition de la personnalité et de la singularité biographique et donc de la subjectivité, mais cherche au contraire à rendre compte de la dialectique entre l'histoire sociale et l'histoire biographique. Tout en ne négligeant pas le rôle de la conjoncture historique avec ses déterminants sociaux, Vygotskij insiste sur l'importance de la diversité des processus de médiation proposés par les cultures pour répondre aux multiples besoins des situations de vie, et c'est pourquoi les individus ne peuvent être, à moins de confondre causalité et finalisme, les supports passifs ou mécaniques des structures. C'est dans le cadre d'un tel processus qu'à son échelle, un système didactique disciplinaire peut être étudié comme favorisant la formation de la subjectivité, la connaissance de qui on est, de qui on aimerait être, de qui on ne peut pas être dans une quête et une stabilité sans cesse remises en question, et ceci en fonction d'une situation propre aux systèmes didactiques. 

Bibliographie

Althusser, L. (2011). Sur la reproduction. Paris : PUF.

Araya-Chacòn, A.-M. (2008). La gestion de la mémoire didactique par le professeur dans l'enseignement secondaire des mathématiques. Étude du micro-cadre institutionnel en France et au Costa Rica. Thèse de doctorat, Université de Toulouse.

Bronckart, J.-P. & Schneuwly, B. (1991). La didactique du français langue maternelle : l'émergence d'une utopie indispensable. In J.-P. Bronckart. (2016). Pourquoi et comment devenir didacticien ? Villeneuve d'Ascq : Presses Universitaires du Septentrion.

Buznic-Bourgeacq, P. (2015). La conversion didactique : de l'expérience personnelle du sujet à l'activité didactique de l'enseignant.Transformations, n°13-14, p. 1-18.

Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Daunay, B. (2016). Quelques réflexions sur le sujet d'une description didactiqueÉducation et didactique. 10-2 | 2016. URL : http:// educationdidactique.revues.org/2488, dernière consultation le 12.09.2022.

Macherey, P. (2014). Le sujet des normes. Paris : Editions Amsterdam.

Rancière, J. (2005). La haine de la démocratie. La Fabrique éditions.

Schubauer Leoni, M.-L. (1997). Entre théories du sujet et théories des conditions de possibilité du didactique : quel « cognitif » ? Recherches En Didactique Des Mathématiques17(1), 7–27. https://revue-rdm.com/1997/entre-theories-du-sujet-et/, dernière consultation le 29.08.2022

Vygotski, L. S. (1931/2014). Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures (F. Sève, trad.). Paris : La dispute. 

 

 

 


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