Le cadre de l'apprentissage par problématisation (CAP), initialement pensé pour l'enseignement des sciences de la vie et de la terre (Orange, 2007), est aujourd'hui mobilisé par les didacticiens dans différentes disciplines scolaires pour répondre à de nouveaux enjeux de l'apprentissage (monde complexe, objets d'enseignement et de domaines croisant différentes disciplines scolaires, attentes sociales). En mathématiques, ce cadre apporte des éléments nouveaux pour analyser la manière dont les élèves construisent des connaissances apodictiques en lien avec le processus de problématisation (Hersant, 2022). Le CAP en mathématiques a pour objectif de rendre les savoirs disponibles pour l'élève, par la mise en évidence de nécessités – ce qui fait que le savoir est ce qu'il est et ne peut pas être autrement – en lien d'une part avec le problème posé et d'autre part avec un cadre théorique de référence (Fabre, 2011). Cette approche nous semble particulièrement intéressante aujourd'hui du fait que les compétences en mathématiques des élèves sont évaluées à partir de leur capacité à résoudre des problèmes mathématiques ou issus de la vie courante, et donc leur capacité à modéliser, à résoudre des problèmes inédits. Comment mettre en œuvre un enseignement mathématique dans le CAP ? Et quels peuvent être les freins et les limites de cet enseignement ? En quoi s'agit-il ou non d'un changement de paradigme ?
Nos recherches visent à construire des ingénieries didactiques permettant aux élèves de problématiser en mathématiques, c'est-à-dire leur permettant de poser (prendre conscience d'un problème), construire (délimiter le problème) et résoudre (trouver une solution) un problème, les amenant à rendre compte de raisons mathématiquement valides. Nous considérons que ces raisons relèvent d'un registre explicatif (REX) qui évolue en cas d'un apprentissage. Nos analyses a posteriori des activités en classe nous permettent de caractériser les REX mobilisés par les élèves et de repérer ce qui, dans la situation de classe, amène une évolution du REX. Pour cela, nous récoltons des traces de l'activité (productions écrites et orales, vidéos de classe, entretiens d'explicitation, documents de préparation et entretiens d'auto-confrontation des enseignants) et identifions ce qui est pris en compte et éventuellement questionné par les élèves (le « en question ») et ce qui n'est pas pris en considération (le « hors question »), les traces de factualisation considérée comme la construction de faits ayant un statut de vérité, du moins temporairement, les éléments explicatifs donnés au cours d'une séquence d'enseignement (Grau, 2019).
Ces recherches menées à différents niveaux de la scolarité et dans différents domaines des mathématiques, attestent que le CAP suppose une organisation mathématique (Matheron, 2000) différente de celle des programmes actuels (Grau, 2017). En particulier l'organisation des savoirs mathématiques par grands domaines (algèbre, nombres et calculs, mesure de grandeur...) ne rend pas explicites les conversions de cadres parfois nécessaires à la résolution de problèmes, ni la construction d'un répertoire opérationnel de techniques. A partir d'exemples en géométrie et en résolution de problèmes numériques, nous verrons en quoi le CAP en mathématiques amène aussi à une nouvelle répartition des responsabilités entre l'enseignant et les élèves et donc la renégociation de certaines clauses du contrat didactique, dont l'enjeu dépasse largement le domaine disciplinaire des mathématiques – développement de l'esprit critique, autonomie et émancipation, modélisation (Rayou, 2020).
Dans cette communication qui s'inscrit dans l'axe 2 du colloque, nous montrerons à partir de différentes expérimentations analysées dans le CAP, comment la problématisation mise en œuvre dans des dispositifs d'enseignement en mathématiques modifie la manière de penser l'organisation mathématique des savoirs et comment elle met en tension les représentations qu'élèves et enseignants ont de ce qu'est « faire des mathématiques à l'école ». La discussion pourra porter sur les difficultés que rencontrent les enseignants pour amener effectivement les élèves à problématiser et non uniquement exposer aux élèves un savoir problématisé.
Bibliographie :
Fabre, M. (2011). Eduquer pour un monde problématique : La carte et la boussole. PUF.
Grau, S. (2017). Problématisation en mathématiques : Le cas de l'apprentissage des fonctions affines. [Thèse de doctorat Université de Bretagne Loire]. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01629911v1
Grau, S. (2019, octobre). Entre problème construit par l'élève et problème théorique : Distance et/ou malentendu. [Communication]. Nouvelles perspectives en didactique : Actes de la 20e école d'été de didactique des mathématiques, Autrans-Grenoble, 1, 541-552. La pensée sauvage éditions.
Hersant, M. (2022). Usages et apports du cadre de la problématisation à la didactique des mathématiques. In Doussot, Sylvain, Hersant, Magali, Lhoste, Yann, & Orange-Ravachol, Denise, Le cadre de l'apprentissage par problématisation. Apports aux recherches en didactiques. Presses universitaires Rennaises.
Matheron, Y. (2000). Analyser les praxéologies : Quelques exemples d'organisations mathématiques. Petit x, 54, 51‑78.
Orange, C. (2007). Quel Milieu pour l'apprentissage par problématisation en sciences de la vie et de la terre ? Education et didactique, 1(2), 37‑56.
Rayou, P. (2020). Des registres pour apprendre. Education et didactique, 14(2), 49‑64.
- Poster