S4 - Mise en tension de l'éducation au sensible en danse contemporaine à travers la confrontation de deux échelles d'analyse.
Yoann Buyck  1@  
1 : Université de Genève

Introduction

La variété des propositions professionnelles visant à enseigner la danse en éducation physique questionne le statut de la danse : activité physique, sportive ou artistique ? La communauté scientifique s'accorde à promouvoir un enseignement de « l'art de la danse » (Félix, 2011). Guisgand et Tribalat (2001) considèrent qu'une démarche artistique peut être définie comme « la suite des opérations par lesquelles un artiste transforme une relation singulière et sensible à la réalité [...] en une œuvre plastique, esthétique ou poétique » (p.16). Ils définissent ensuite la notion d'œuvre (en s'appuyant sur Genette (1992)) comme conditionnée par une « rencontre active d'une intention et d'une attention » (p. 8). A ce titre, l'éducation artistique qui s'opère à travers la danse semble impliquer une éducation au sensible caractérisée ici par les notions d'intention et d'attention, formalisées par des apprentissages tout autant différenciés qu'interdépendants.

De cette vision, inscrite dans une tradition d'éducation à la culture physique et sportive (Forest et al., 2018), découle deux postulats didactiques consécutifs pour son enseignement en classe. L'aménagement d'une forme de pratique scolaire (Mascret, 2009) suffisamment ciblée pour générer un apprentissage tout en restant suffisamment authentique pour conserver l'essence de la pratique sociale de référence (Martinand, 2001), et l'implémentation de rôles sociaux (Mascret & Rey, 2011) inhérents à l'essence de cette pratique. En danse contemporaine, au regard de la description précédente, cela implique a minima les rôles de chorégraphe (intentionnalité), de danseur (incorporer cette intention) et de spectateur (attention). Une séquence implémentant ces rôles semble donc conditionnelle à la création d'une œuvre chorégraphique en vue d'une éducation au sensible.

 

Méthodologie

En adoptant une méthodologie d'ingénierie didactique (Artigue, 1988), nous avons conçu une séquence s'appuyant sur l'œuvre Rosas Danst Rosas de A.T. De Keersmaeker. En partant d'une chorégraphie ayant fait l'objet de nombreuses réinterprétations à travers le projet re:rosas très populaire, la séquence mise à disposition priorise l'enseignement de l'interprétation. Nous postulons que cette entrée permet de donner davantage de sens au développement d'une technique corporelle dansée en la travaillant à l'aune de l'intention qui la préside ainsi qu'à l'attention par le public à laquelle elle est soumise. Non seulement cette démarche priorise une démarche artistique, mais elle évite également l'écueil d'une recherche de prouesse (trop orientée activité physique), ou du respect d'un code (trop orientée activité sportive), et ainsi prioriser une démarche artistique.

Afin d'engager cette recherche de rencontre entre intention et attention, la séquence que nous avons aménagée impliquait que les spectateurs soient actifs en évaluant leurs pairs sur la base d'indicateurs prédéfinis (l'enseignant pouvant les adapter, reformuler, réorganiser et introduire progressivement selon ses intentions didactiques). La présence de ce public de spectateurs critiques sert alors d'« apprêt didactique » (Amade-Escot, 2001, p.36) qui vise à construire la notion d'œuvre chorégraphique. Alors que les élèves donnent spontanément à la situation le sens de présenter leur chorégraphie devant un public, l'enseignant vise une construction de réception de celle-ci par le public. Cette dernière sous-tend la nécessaire construction de significations partagées servant de référentiel à une évaluation similaire (quel que soit l'élève ou le groupe d'élèves qui évalue, sur la base de ce ou ces indicateurs donnés, chez un danseur ou groupe de danseurs). Ce sens n'est donc a priori « pas donné » mais « masqué » dans le milieu didactique agencé en vue de sa construction (ibid.).

Afin de caractériser la co-construction de ce « sens masqué » nous proposons une analyse didactique dont l'originalité réside dans une mobilisation particulière du triplet mésogénèse, chronogénèse et topogénèse (Sensevy et al., 2000) visant à distinguer et confronter deux niveaux de granularité d'analyse : une échelle locale (situation) ; une échelle globale (séquence).

 

Résultats

Cette contribution présentera un cas manifestant une forte tension entre ces deux échelles. D'un point de vue mésogénétique, alors qu'à l'échelle locale l'aménagement des situations semble très favorable à la construction du savoir visé masqué, ce milieu évolue de façon erratique à l'échelle de la séquence. D'un point de vue chronogénétique, le temps didactique semble avancer efficacement en cours de situation, et pourtant nous avons constaté des ruptures successives et répétées du « sens masqué » des indicateurs à construire. Enfin d'un point de vue topogénétique, bien que les élèves soient très impliqués dans la chronogénèse ainsi que la mésogénèse à l'échelle locale, ces deux évolutions ne semblent tenir que peu compte de ces interactions en situation à l'échelle globale.

 

Perspectives

Issus d'une analyse portant sur un objet a priori non strictement disciplinaire (éducation au sensible), ces résultats nous amèneront à relancer une réflexion sur l'intérêt de l'articulation de différentes échelles d'analyse à l'aune des enjeux didactiques actuels portés par ce colloque. La démarche entreprise nous semble fournir des pistes d'étude didactique répondant à l'intérêt croissant pour ce type de savoirs plus implicites, souvent intégrés en arrière-plan de séquences visant l'acquisition de savoirs disciplinaires plus fondamentaux. C'est le cas des « objets d'enseignement à la croisée de différentes disciplines », des « objets génériques », et des objets relevant de « domaines multi-référencés » (cf. appel à communication) qui prennent aujourd'hui une place considérable dans les injonctions éducatives, mais dont l'analyse dans l'enseignement ordinaire nécessite des outils qui restent encore largement à construire et à tester par les didacticiens comparatistes.

 

 

 

Bibliographie

Amade-Escot, C. (2001). De l'usage des théories de l'enseignant : Questions de l'étude des contrats didactiques en éducation physique. In : A. Rouchier (Éd.), Le génie didactique : Usages et mésusages des théories de l'enseignement (pp. 23-41). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.rouch.2001.01.0023

Artigue, M. (1988). Ingénie didactique. Recherches en didactique des mathématiques, 9, 281-309.

Félix, J-J. (2011). Enseigner l'art de la danse ? L'acte artistique de danser et les fondements épistémologiques de la didactique de son enseignement. De Boeck Supérieur.

Forest, E., Lenzen, B., & Öhman, M. (2018). Teaching traditions in physical education in france, switzerland and sweden: A special focus on official curricula for gymnastics and fitness training. European Educational Research Journal, 17(1), 71-90. https://doi.orf/10.1177/1474904117708889

Genette, G. (1992). Esthétique et poétique. Seuil.

Guisgand, P., Tribalat, T. (2001). Danser au lycée. Editions L'Harmattan.

Martinand, J-L. (2001). Pratiques de références et problématique de la référence curriculaire. In A. Térisse (Éd.), Didactique des disciplines, les références au savoir (pp. 17-24). Perspectives en Education et Formation

Mascret, N. (2009). Référence culturelle et formation des enseignants d'Education Physique et Sportive. Travail et formation en éducation. http://journals.openedition.org/tfe/870

Mascret, N., & Rey, O. (2011). Culture sportive et rôles sociaux. In M. Travert & N. Mascret (Eds.), La culture sportive (pp. 81-98). Éditions EP&S.

Sensevy, G., Mercier, A., & Schubauer-Leoni, M.-L. (2000). Vers un modèle de l'action didactique du professeur. A propos de la course à 20. Recherche en didactique des mathématiques, 20(3), 264-272.



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