S1 - Pratiques d'institutionnalisation et savoirs institués chez des professeurs des écoles débutants : que reste-t-il de qui a été réfléchi en classe de français ?
Florian Ouitre  1@  , Bruno Hubert  2@  
1 : CIRNEF
Université de Caen Normandie : EA7454, Université de Caen Normandie
2 : Université de Caen Normandie  (CIRNEF)
Espé Caen

Un certain nombre de travaux font valoir une approche formelle des savoirs scolaires chez les enseignants (Le Bas, 2005) et plus particulièrement chez les enseignants débutants (Butlen et al., 2003 - Ouitre, 2015), une approche le plus souvent héritée de leur vécu scolaire (Hubert, 2012). Celle-ci n'échappe à aucune discipline et à aucun domaine de réflexion scolaire, même si nous nous centrerons ici sur la discipline du français. Ce techniciste renvoie au propositionnalisme de Meyer (cité par Fabre, 2009) qui dénonce dans l'histoire de la pensée occidentale le privilège des réponses sur celui des questions. Delbos et Jorion (1984), puis à leur suite Astolfi (1992) mettent eux en avant le caractère propositionnel des savoirs scolaires. Ces derniers sont en effet des propositions souvent indépendantes les unes des autres, jamais référées à des problèmes et dont « la genèse historique est occultée » faisant de ceux-ci des savoirs « sans histoire et sans opérationnalité » (Fabre, 2007). D'autres auteurs tel que Sarremejane (2002) resituent cet état des savoirs scolaires dans le processus de disciplinarisation qui en a permis l'existence alors qu'un auteur comme Prairat (1995) n'envisage pas penser leur pertinence sans questionner le projet de l'école et le sujet libre (rationnel, moral et politique) qu'elle souhaite former. Dans son plaidoyer pour penser et réhabiliter la saveur des savoirs, Astolfi (2008) ne laisse nullement entendre que la critique des savoirs scolaires s'inscrit dans une perspective anti-intellectualiste de l'école, mais que ces « savoirs savourés » sont avant tout émerveillement, révélation, perturbation, surprise, découverte, choc, émotion, etc. (Astolfi, ibid. p.7, 8 et 9).

Le formalisme ici décrit s'exprime chez les enseignants débutants, particulièrement dans les opérations d'institutionnalisation, institutionnalisation entendue dans une acception large comme la volonté par l'enseignant d'acter de ce qui a été appris à des moments donnés du processus d'apprentissage et sous des formats variés, de le rendre public et d'en faire un nouveau point de départ pour d'autres apprentissages. Cette institutionnalisation fait partie du discours des enseignants débutants. En fin de séance et/ou de séquence, ils disent qu'ils institutionnalisent et l'écrivent souvent dans leur travail de planification, mais le contenu de cette institutionnalisation est souvent fade et reflète peu ce qui s'est intellectuellement passé pendant les cours, effaçant ainsi tout raisonnement et tout questionnement (Hubert, 2016). Le geste professionnel « d'écrire la leçon dans le cahier du jour » est lui aussi formel. S'adresse-t-il aux élèves ? Aux parents ? A l'institution et à ses représentants dans une logique de contrôle ? Finalement l'exercice obligé tue la saveur des savoirs qui avait pu être concoctée en amont. Elle raplatit les raisonnements et simplifie les choses au point parfois de les rendre indigentes.

Une enquête par questionnaire nous a permis d'appuyer ces constats et de comprendre les raisons de ce que nous décrivons et dénonçons ici : 1) d'une part le problème du lien entre ce que les étudiants ont vécu comme élèves - le meilleur et parfois le pire - et ce qu'ils proposent à leurs élèves comme pratiques de classe, notamment comme pratiques d'institutionnalisation ; 2) d'autre part le problème de la formation pour faire accéder les étudiants aux « savourés » de la discipline français et à la transposition didactique de ceux-ci. L'institutionnalisation constitue pour nous un point de cristallisation de ces problèmes.

A partir d'institutionnalisations que les étudiants ont réalisées dans les classes, des écrits de formation (portfolio, mémoire, etc.) et d'entretiens avec ces étudiants, nous nous appuyons sur des études de cas afin de voir comment et à quelles conditions le geste professionnel d'institutionnalisation peut se transformer et passer d'un simple écrit académique à une trace savoureuse des savoirs en jeu. 

Références bibliographiques :

Astolfi, J.-P. (1992). L'école pour apprendre. Paris : ESF.

Astolfi, J.P. (2008). La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d'apprendre. Paris : ESF.

Butlen, D., Masselot, P. & Pézard M. (2003). De l'analyse de pratiques effectives de professeurs d'école débutants nommés en ZEP/REP à des stratégies de formation. Recherche et formation, 44, 45-61.

Fabre, M. (2007). Des savoirs scolaires sans problèmes et sans enjeux. La faute à qui ? Revue française de pédagogie, 161, 19-78.

Fabre, M. (2009). Philosophie et pédagogie du problème. Paris : Vrin.

Le Bas, A. (2005). Didactique professionnelle et formation des enseignants. Recherche et formation, 48, 47-60.

 Hubert, B. (2012). Faire parler ses cahiers d'écolier. L'Harmattan. 

Hubert, B. (2016). Explorer son activité professionnelle à partir de la trace écrite de l'élève. In Philippot, T. Les traces de l'activité (pp. 165-185)L'Harmattan.

Ouitre F. (2015). La formation professionnelle. Accéder aux implicites de l'activité pour la transformer. In Gérard L. & Buznic P. (éd.). L'apprentissage du métier d'enseignant. Constructions implicites, espaces informels, interfaces de formation. Caen : PUC.

Prairat E. (1995). Critiques de l'école, critiques des savoirs scolaires. In Astolfi J.-P. (éd.). L'Éducation en question. Nancy : CRDP de Lorraine. 

Sarremejane P. (2002). Les didactiques et la culture scolaire. Québec : Les Éditions Logiques.



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