Les territoires curriculaires, un impensé des disciplines scolaires
Muriel Guedj  1, 2@  , Angela Barthes  3@  , Jean-Marc Lange  2@  
1 : Muriel Guedj
Université de Montpellier et MBS
2 : lirdef
Université de Montpellier et MBS
3 : ADEF
Aix Marseille Univ

D'une façon générale, l'histoire du système éducatif montre que les priorités se succèdent en réponse aux enjeux culturels, économiques et sociétaux lesquels sont portés par des projets politiques. Les réformes structurelles et disciplinaires qui jalonnent le XXe siècle rendent compte de ce lien comme en témoignent l'effacement des ordres primaires et secondaires suite à la prolongation de la scolarité obligatoire, l'intégration des mathématiques modernes et le questionnement sur la démocratisation de l'enseignement, pour citer ces seuls exemples.

 

Actualiser ce constat pour caractériser les contextes éducatifs du XXIe siècle apparait comme une nécessité qui impose de prendre en compte l'accélération et la diversité des crises qui marquent les sociétés contemporaines (attentats, crises sanitaires, urgences climatiques) et auxquelles l'école se doit de répondre. La forme scolaire traditionnelle (Vincent, 1994) évolue alors que dans un double mouvement le « dehors » s'invite à l'école et celle-ci diffuse ses méthodes au-delà d'elle. En résulte un élargissement des savoirs et pratiques mobilisés, des acteurs impliqués, et également la nécessité d'intégrer et d'analyser une diversité de dimensions (affectives, cognitives et éthiques) conjuguées.

 

Il s'agit en outre de changer d'échelle d'analyse et être en mesure d'aborder les politiques éducatives désormais mondialisées et pour lesquelles les orientations, centrées sur la préparation des individus aux problèmes et aux risques globaux encourus par les sociétés, sont fixées par des instances de gouvernances internationales. La décennie de l'éducation au développement durable (EDD) 2004-2014 par l'UNESCO, suivi de l'agenda « Éducation 2030 » en 2015, le programme pour l'éducation à la citoyenneté par l'OCDE, celui pour l'éducation à la santé par l'OMS, ou encore ceux d'éducation pour tous (EPT) par la banque mondiales sont autant d'illustrations de cette mondialisation.

Ces exemples, révélateurs de politiques éducatives pilotées par ces instances internationales qui fixent désormais les objectifs éducatifs, les finalités associées et les curricula de formation, concernent tout autant le milieu scolaire que le milieu professionnel, associatif, voire muséal, territorial, militant etc. Ils invitent à s'interroger sur ce qui est aujourd'hui objet de curriculum et les implications qui en résultent, notamment celles relatives à la sphère scolaire. 

 

La nécessaire adaptation des curricula à leurs contextes n'est pas nouvelle. Alors qu'il signe l'article Éducation du Nouveau Dictionnaire de pédagogie de Buisson (1911), Durkheim s'interroge sur les finalités assignées à l'éducation et conclue qu'Il s'agit moins de rechercher un modèle éducatif dans l'absolu mais des formes correspondantes et adaptées aux valeurs et besoins d'une époque (Bier, 2010). De manière générale les apports historiques insistent sur la construction progressive du curriculum qu'il convient d'appréhender comme un « processus continu d'adaptation des méthodes et structures curriculaires aux défis culturels et sociétaux ».

C'est précisément cette adaptation à laquelle il est nécessaire de s‘attacher pour être en mesure d'analyser de manière critique la situation actuelle et projeter de nouvelles constructions susceptibles de prendre en compte les défis culturels et sociétaux auxquels ces constructions se doivent de répondre.

 

Une première réponse à l'actualisation repose sur l'intérêt de mobiliser la notion d'hybridation curriculaire (Barthes et al, 2019). Nous pouvons avancer l'hypothèse qu'il existe une hybridation curriculaire lorsque le curriculum répond à un principe de co-construction entre des référentiels descendants et une réalité locale (un territoire et ses acteurs). De ce fait, la ligne de démarcation entre formel et non formel tend à s'estomper (Guedj & Urgelli, 2021). Des éléments non formels font leur apparition dans les structures éducatives formelles avec en conséquence l'introduction de modes de pensée extérieurs à l'école. C'est le cas en particulier des éducations à (environnement, santé ...) (Barthes, Lange et Tutiaux, 2017), ou d'autres éducation transversales ou approches par projets, qui contrairement aux disciplines scolaires, ne sont pas, ou peu, cadrées par des prescriptions institutionnelles mais qui engagent à des partenariats et méritent une attention spécifique.

A contrario, des formes scolaires se diffusent hors l'école, posant au passage d'autres types de problèmes. Citons par exemple le cas des parcs naturels qui disposent de formateurs issus des formations universitaires en biologie tandis qu'il leur est demandé de promouvoir une identité locale à visée touristique.

La question des modalités de ces hybridations se trouve alors posée tant sur le plan des finalités éducatives que sur celui épistémologique des contenus. En réponse aux injonctions contradictoires de l'institution qui engage d'une part à l'inclusion territoriale et d'autre part à une refondation verticale (loi n°2013-595 du 8 juillet 2013) pensée en termes de radicalité, nous proposons de discuter la tension entre la recherche de racines et celle d'inclusion en convoquant l'approche par rhizome, au sens de Deleuze et Guattari (Krtolica, 2021).

Et au-delà c'est bien le rôle de l'École sur les territoires qui se trouve questionné.

 

Appuyées sur les résultats de trois recherches menées récemment de façon indépendantes par les auteur.e.s de la proposition, la communication vise à questionner les implications de ces hybridations, en termes de recompositions des contenus et donc des disciplines scolaires de référence, mais aussi des tensions entre acteurs, modalités d'intervention, valeurs de référence, finalités éducatives. Chaque étude de cas permettra un retour critique sur les contenus disciplinaires et les pratiques (scolaire ou non) spécifiques à l'étude et interrogera leurs configurations curriculaires. 

L'ensemble ambitionne de poser les premiers jalons pour un territoire curriculaire actualisé.

 

Bibliographie

Audigier, F. (2012). « Les Éducation à : Quels significations et enjeux théoriques et pratiques ? Esquisse d'une analyse. Recherches en didactiques, 13(1), 25-38.

Barthes,A., Blanc-Maximin, S., & Dorier, E. (2019). “Quelles balises curriculaires en éducation à la prospective territoriale durable ? Valeurs d'émancipation et finalités d'implications politiques des jeunes dans les études de cas en géographie”, Éducation et socialisation [Online], 51 | 2019, Online since 30 March 2019, connection on 15 February 2023. URL: http://journals.openedition.org/edso/5755; DOI: https://doi.org/10.4000/edso.5755

Barthes, A., Lange, J.-M., & Tutiaux-Guillon, N. (2017). Dictionnaire critique des enjeux et concepts des « éducations à ». Paris, l'Harmattan, 624p.

Bier, B. (2010). « Territoire apprenant » : Les enjeux d'une définition. Spécificités, 3(1), 7‑18. Cairn.info. https://doi.org/10.3917/spec.003.0007

Guedj, M., & Urgelli, B. (2021). L'interface éducation formelle et non formelle : Un chantier en partage pour éduquer à la citoyenneté scientifique. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 21(1), 86‑99. https://doi.org/10.1007/s42330-020-00126-2

Krtolica, I. (2021). Le rhizome deleuzo-guattarien « Entre » philosophie, science, histoire et anthropologie, Rue Descartes, 99(1), 39‑51. https://doi.org/10.3917/rdes.099.0039

Vincent, G. (1994) (dir.) L'éducation prisonnière de la forme scolaire? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Lyon, Presse universitaire de Lyon, 228 p.

 


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