Dans la société du 21e siècle, les citoyen·nes sont constamment en présence de statistiques qui sont présentées pour apporter une certaine crédibilité par rapport à ce qui est argumenté, conseillé ou vendu (Ben-Zvi et Garfield, 2004). La variabilité est également un élément omniprésent dans les sciences ; les probabilités et la statistique permettent la modélisation et le traitement des données recueillies. Coquidé (2018) souligne aussi l'importance de la conceptualisation de la notion de risque et de hasard et de la coordination entre disciplines pour réaliser une formation à l'incertitude, en particulier pour l'enseignement au lycée. Les domaines des probabilités et de la statistique font donc partie intégrante des approches scientifiques et technologiques pour de nombreux savoirs enseignés au secondaire. Il s'agit donc d'un objet d'enseignement à la croisée de différentes disciplines.
Cependant, au niveau des programmes scolaires, les notions stochastiques (qui regroupent les probabilités et la statistique) sont essentiellement abordées dans le cadre de la discipline des mathématiques. On peut se demander comment la transposition didactique des savoirs probabilistes et statistiques s'est réalisée dans une discipline scolaire de sciences et technologies qui n'est pas la discipline coutumière de ces savoirs. À notre connaissance, il n'existe pas d'étude récente qui se soit intéressée aux contenus stochastiques des programmes de sciences et technologies du secondaire. Cette communication propose donc une analyse comparative France-Québec pour savoir : comment les programmes de sciences et technologies en France et au Québec intègrent-ils les contenus de probabilités et de statistique?
Pour répondre à cette question, les 20 programmes du secondaire actuels en France et au Québec (comprend les divers programmes de l'enseignement général de tous les niveaux scolaires du secondaire) ont été analysés sous l'angle d'une analyse qualitative/interprétative (Savoie-Zajc, 2007). Plus particulièrement, notre analyse repose sur une étude épistémologique des notions stochastiques dans les programmes officiels de sciences et technologies en France et au Québec. Après le recueil de ces programmes et la préparation de ces données, une analyse systématique de la présence de termes en lien avec les probabilités et la statistique a été réalisée dans l'ensemble des programmes du corpus. Cette méthodologie s'apparente à une analyse de contenu (Savoie-Zajc, 2007), car l'analyse repose sur une grille construite en fonction de travaux existants (Thibault et Martin, 2018 ; Vermette, 2017) et de l'expertise en didactique des mathématiques et en didactique des sciences et technologies des chercheur·es impliqué·es dans ce travail.Pour lever d'éventuelles ambiguïtés liées au processus d'encodage (Allard-Poesi, 2003), précisons que la grille d'analyse a été construite selon une démarche itérative en répétant 4 fois le processus suivant :
* réunion entre les chercheur·es impliqué·es pour déterminer des termes à rechercher et selon les connaissances théoriques et les lectures des programmes réalisées;
* recherche dans les programmes des termes pour identifier le sens des mots utilisés et le contexte. Des notes sont prises pour les cas qui doivent être discutés lors de la réunion suivante.
Au total, l'utilisation de la grille d'analyse a permis d'identifier 581 termes répartis en 5 catégories. Il est à noter que plus de 50 % des termes identifiés sont liés à la catégorie de l'analyse statistique. On y trouve également une représentation importante des termes liés à la catégorie de la mesure et de l'incertitude (27%). La catégorie des probabilités est moins représentée (11%) mais constitue parfois une part importante comme dans le programme d'enseignement scientifique de Terminale et de SVT de Seconde en France. Les autres catégories (représentation des données, puis position et dispersion) sont moins représentées. La variabilité d'ensemble est assez forte et la présence des termes reliés aux différentes catégories varie fortement selon les niveaux d'études considérés à la fois au Québec et en France.
D'une manière générale, on constate la très forte présence du terme « Données » ce qui semble correspondre au statut des sciences expérimentales et des technologies qui utilisent différentes données comme le mentionnent les extraits suivants issus des programmes français et québécois : « Distinguer sur un document des données relevant du climat d'une part, de la météorologie d'autre part » (MENJ, 2019, p. 6) ; « Le montage expérimental qu'il vous appartient de réaliser et les données recueillies doivent permettre d'étudier le mouvement de la bille pendant sa chute. » (MELS, 2007, p. 34). Par ailleurs, les programmesd'enseignement scientifique des classe de Première et de Terminale générale en France semblent apporter des spécificités intéressantes à explorer notamment car ils semblent se rapprocher du courant STIM (science, technologie, ingénierie, mathématiques).
Un autre terme très présent dans les programmes de physique et de chimie est celui d'incertitude en France et au Québec et d'incertitude-type en France. Ces notions se réfèrent à la mesure qui occupe une place centrale dans l'enseignement de ces disciplines. Bien que fortement liés à une réflexion sur la variabilité aléatoire, ces termes recouvrent parfois la notion d'écart-type présente dans les programmes de mathématiques et parfois une approche plus expérimentale qui se centre sur la précision des appareils de mesure (Allard-Poesi, 2003).
Nous notons aussi une quasi-absence des termes de moyenne et d'écart-type, alors que les mesures de tendance centrale et de dispersion sont importantes à développer et faciles à mettre en lien avec des concepts en sciences. Ceci est d'autant plus surprenant que ces mesures sont largement développées en mathématiques.
Notre analyse pourrait témoigner, selon nous, d'une difficulté à lier les apprentissages en mathématiques et en sciences et technologies. Certains termes sont presque absents des programmes de sciences et tout comme Thibault et Martin (2018) l'ont souligné, il convient de demeurer prudent envers les glissements de sens des termes notamment sur les notions d'incertitude. Bien que les mathématiques et les sciences et technologies soient des disciplines scolaires généralement considérées comme proches, l'analyse des programmes officiels suggère une grande hétérogénéité et pose la question des difficultés del'acculturation statistique dans le contexte d'une organisation disciplinaire des savoirs. Ces résultats suggèrent aussi qu'il serait utile de repenser la formation des enseignant·es de sciences et technologiespour intégrer des éléments stochastiques, car ces concepts sont complexes et ils sont porteurs de raisonnements divers qui pourraient être approfondis (Vermette, 2017).
Bibliographie
- Allard-Poesi, F. (2003). Coder les données. Dans Y. Giordano (dir.), Conduire un projet de recherche, une perspective qualitative (p. 245-290), EMS, Caen.
- Ben-Zvi, D. et Garfield, J. (2004). Statistical literacy, reasoning, and thinking: Goals, definitions, and challenges. Dans Ben-Zvi, D. et J. Garfield (dir.), The Challenge of Developing Statistical Literacy, Reasoning, and Thinking (p. 3-15), Kluwer Academic Publishers, Dordrecht.
- Chesnais, A. et Munier, V. (2015). Mesure, mesurage et incertitudes : une problematique inter-didactique mathematiques / physique Actes du séminaire national de l'ARDM. https://publimath.univ-irem.fr/numerisation/AAR/AAR16014/AAR16014.pdf
- Coquidé, M. (2018). Ignorance, hasard, incertitude, risque: des enjeux pour une éducation scientifique émancipatrice, Recherches en éducation, 34. DOI : https://doi.org/10.4000/ree.1837
- MELS. (2007). Programme de formation de l'école québécoise. Enseignement secondaire deuxième cycle.
- MENJ. (2019). Programme d'enseignement scientifique de terminale générale, BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019.
- Savoie-Zajc, L. (2007). Comment peut-on construire un échantillonnage scientifiquement valide?, Recherches qualitatives, 5, 99-111.
- Thibault, M. et Martin, V. (2018). Confusion autour du concept de probabilité, For the learning of mathematics, 38(1), 12-16.
- Vermette, S. (2017). Enseignants de mathématiques et connaissances statistiques: le cas de la variabilité, Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 17(3), 219-233.