S1 - Les effets du processus d'institutionnalisation en Éducation Physique et Sportive : « ce qu'il reste » chez les futurs professeurs des écoles et son impact sur leur manière d'envisager son enseignement.
Benjamin Delattre  1@  , Florian Ouitre  2@  
1 : Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation
Université de Caen Normandie : EA7454
2 : CIRNEF
Université de Caen Normandie, Université de Caen Normandie : EA7454

Les étudiantes et les étudiants qui entrent en master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (MEEF) pour se préparer au métier de professeur des écoles ont un vécu de l'enseignement de l'EPS obligatoire qui s'appuie sur le même curriculum prescrit et sur un nombre d'heures de pratique à peu près identique. Toutefois, les expériences corporelles qu'ils ont pu vivre au cours de leur vie et qui font-corps en eux (Delattre, 2019) sont diverses et disparates tant dans leur densité que dans leur multiplicité. De la sportive accomplie disposant d'un statut de haut-niveau à l'étudiante qui dit « détester le sport », du jogger méthodique, qui part courir deux fois par semaine en suivant un circuit déjà préparé à l'amateur de jonglage qui a pris goût à cette pratique grâce à un professeur d'EPS qui enseignait le cirque au lycée, les expériences de ces étudiantes et étudiants sont en effet très variées. Le spectre de leurs conduites motrices (Parlebas, 1981 et Bui-Xuân, 1993) est finalement très large. Les discours qu'ils tiennent sur ce qu'ils ont vécu en EPS et sur leurs pratiques corporelles actuelles sont également très diversifiés. Ces étudiants ne constituent pas un public à forte identité motrice contrairement aux futurs professeurs d'EPS. Malgré tout, ce public d'étudiants professeurs des écoles devra mettre en œuvre l'enseignement de l'EPS et faire vivre cette discipline dans leur classe avec leurs futurs élèves en répondant aux attendus programmatiques tout en s'adaptant à la multiplicité des contextes qu'ils vont rencontrer. 

Ces expériences corporelles diverses et variées d'élève et de jeune adulte ont participé au façonnage de leur conscience disciplinaire (Reuter, 2007) de l'EPS. En formation, cette conscience disciplinaire forgée en tant qu'élève se voit potentiellement interpellée par celle que les acteurs de la formation souhaitent qu'ils construisent. Cette conscience disciplinaire porte la trace de ce qui a pu être institutionnalisé en EPS pour eux et par eux au cours de leur scolarité. En effet, même si l'institutionnalisation de ce qui est enseigné est potentiellement à l'initiative de l'enseignant, ce qui est intériorisé chez les élèves et qui « reste en eux » n'est pas forcément ce qui a été désigné comme méritant d'être reconnu et instauré par les enseignants.

Notre recherche a ainsi pour projet d'enquêter sur ce « reste » de ces expériences et de ces institutionnalisations, notamment celles issues de l'EPS. Nous posons l'hypothèse que ce reste, qui fait-corps en eux, oriente significativement leurs conduites, au sens large de ce terme, en tant que manière de faire, d'agir et de penser et qu'il a un impact significatif sur leur manière d'envisager l'enseignement de l'EPS. Ce reste constitue en formation un matériau à partir duquel les formateurs, témoins de ce reste, peuvent travailler pour favoriser l'adoption (Delattre, 2021) par les étudiants de nouvelles conduites pédagogiques et didactiques. Ce reste s'exprime dans le travail théorique réalisé en salle de cours, mais également dans les travaux pratiques qui accompagnent ces cours où les étudiants sont amenés à pratiquer des PPSA[1] afin d'y vivre des apprentissages et de les questionner pour penser ceux de leurs futurs élèves. Qu'est-ce que « ce reste » qui habite en eux ? De quoi est-il fait ? En quoi et comment ce reste peut-il impacter leur manière d'envisager et de se projeter dans l'enseignement de l'EPS ? 

Nous questionnons ainsi le résultat privée, intime et potentiellement savoureux de ces institutionnalisations. Ce reste est en effet identifiable dans la façon dont les étudiants s'engagent corporellement dans les situations de pratique proposées en formation ainsi que dans leur manière de se mettre à distance de cette pratique pour la problématiser dans un cadre didactique (Ouitre et al. 2022). Ce reste constitue le matériau corporel du sujet-étudiant et contribue subrepticement à la manière dont ils vont pouvoir statuer plus ou moins consciemment sur ce qui mérite d'être mis à l'étude, officialisé et évalué en EPS. Cela interpelle plus largement le processus de reconnaissance des apprentissages réalisés par soi-même et autrui et qui, même s'ils ne sont plus toujours corporellement actualisables (le salto avant réalisé à 14 ans n'est peut-être plus possible à 21 ans), continue à faire-corps en soi comme une composante même de son existence. 

A partir de l'expression par questionnaire d'expériences corporelles et émotionnelles significatives (Petiot, O. et al., 2014) auprès d'une trentaine d'étudiants, nous nous centrerons sur des études de cas et chercherons à appréhender ce reste et la manière dont il pourrait influencer les procédures d'enseignement en EPS de ces futurs enseignants. Toutefois, la valeur et la trajectoire qu'ont pris ces expériences significatives dans la vie physique des étudiants (Fargier, 2000) et dans leur itinéraire de vie recèlent une dimension fortement incorporée. Celle-ci nous oblige à dépasser les aspects déclaratifs pour recueillir des traces concrètes et actuelles des conduites motrices antérieurement construites. Nous mobiliserons donc une méthodologie qui associe des entretiens et des observations provoquées de moments de pratique corporelle. Ces observations s'inscrivent dans des situations de formation ordinaires afin de ne pas artificialiser les données produites et de pouvoir en faire des points d'appui pour les cours tel que cela se fait habituellement.

Les premiers résultats ne manqueront pas de questionner les formes ordinaires de l'enseignement de l'EPS à l'école primaire identifiées par Thépault (2016) et qui mettent en évidence une entrée dans la discipline peu centrée sur les apprentissages culturellement significatifs. Ce travail devrait permettre de proposer quelques pistes quant aux stratégies de formation menées et à mener.

[1] Pratiques Physiques, Sportives et Artistiques. 

Bibliographie : 

Bui-Xuân, G. (1993). Une modélisation du procès pédagogique. In G. Bui-Xuân & J. Gleyse (Éds.), Enseigner l'Éducation Physique et Sportive (p. 77-90). AFRAPS. 

Delattre, B. (2019). L'EPS au défi de l'individuation. [Thèse de doctorat en Sciences de l'Éducation et de la Formation]. Université Caen Normandie.

Delattre, B. (2021) Apprendre par adoption à l'école. Éléments introductifs et illustrations dans la discipline Éducation Physique et Sportive. Penser l'Éducation, 49, 9-40.

Fargier. (2000). Contribution à une réflexion à la gestion de sa vie physique en EPS. Thèse de doctorat en Sciences de l'Éducation. Lyon 2.

Ouitre F., Lebouvier B., & Musquer A. (2022). Problématisation et analyse de pratique professionnelle didactique : quelle contribution spécifique pour la formation ? In S. Doussot, M. Hersant, Y. Lhoste, D. Orange-Ravachol (éd.), Le cadre de l'apprentissage par problématisation. Rennes : PUR.

Parlebas, P. (1981). Contribution à un lexique commenté en science de l'action motrice. Publication I.N.S.E.P.

Petiot, O., Desbiens, J.-F., & Visioli, J. (2014). Perceptions d'élèves du secondaire concernant leurs inducteurs émotionnels en EPS. Ejournal de la recherche sur l'intervention en éducation physique et sport -eJRIEPS32. https://doi.org/10.4000/ejrieps.2008

Reuter, Y. (2007). La conscience disciplinaire : Présentation d'un concept. Éducation et didactique1‑2, 55‑71. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.175

Thépaut, A. (2016). Recherches en didactique sur l'école primaire. Revue contre-piedHors-série, 14, 36‑37.



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