L'objectif de notre recherche est d'évaluer quelles sont les conditions favorables aux apprentissages linguistiques et interculturels que crée l'immersion notamment en séjours linguistiques (Llanes et Muñoz, 2012, Borras et Llanes, 2020, Roussel et Von Aleman, 2020), qui ne peuvent que difficilement être reproduites en classe (Beacco, 2018, Dalton-Puffer, 2002), et comment une adaptation dans le cadre d'une activité extra-scolaire permettrait de les reproduire. Nous postulons que les apports de l'immersion vont au-delà des acquisitions langagières en favorisant l'acquisition d'un savoir-être interculturel facteur de préparation des jeunes à la complexité du monde et par là-même, facteur d'insertion et de cohésion sociale. Avec l'étude présentée ici nous souhaitons mettre en évidence les différences et les interrelations des contrats didactiques (Schubauer-Leoni, 1996) noués d'une part en classe de langue et d'autre part en activité extra-scolaire immersive. Le cadre théorique sur lequel nous nous appuyons pour cela fait appel à la recherche en pédagogie expérimentale développée par John Dewey (2022), à la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 2022), aux thèses socio-cognitivistes (Vygotski, 2011 ; Dörnyei 2005 ; Bandura 2007), ainsi qu'aux travaux relatifs à l'acquisition dans un milieu immersif (Krashen et Terell, 2000 ; Lambert, 1984).
Les activités extra-scolaires et la classe constituent un continuum. Pour prolonger la pensée de Dewey (2022) pour qui chaque expérience contient la somme des expériences précédentes, nous observons que les adolescent-e-s arrivent dans l'expérience extra-scolaire avec en eux-elles leur expérience de la classe. Vice-versa, lorsqu'ils-elles retournent en classe suite à l'expérience extra-scolaire. Par exemple, le niveau de motivation déclaré par les apprenants-e-s en début de stage est corrélé à la perception qu'ils-elles ont de la classe de langue, elle-même corrélée à la qualité de la relation perçue avec l'enseignant-e. En fin de stage, tou-te-s ont déclaré avoir apprécié la relation interculturelle avec les animateurs-rices, les activités chargées d'altérité culturelle, et la pratique langagière en milieu perçu comme plus naturel que celui de la classe de langue. Dans quelle mesure est-ce que ces sentiments ont modifié la motivation et le comportement lors du retour en classe ?
Pour notre présente enquête débuté en été 2022, nous souhaitions mener des entretiens avec les adolescent-e-s, les familles et les enseignant-e-s en classe de langue. Nous attendions des résultats permettant de mesurer les effets que la participation à un stage immersif extrascolaire a pu avoir sur la motivation. La motivation et l'état d'esprit des apprenants étant au centre de la réussite des apprentissages (Dörnyei, 2005), le comportement en classe de langue des adolescent-e-s, ainsi que leurs acquisitions langagières et en savoir-être interculturel. A ce jour nous n'avons pas réussi à entrainer une équipe d'enseignant-e-s dans notre démarche. Ce défaut nous amène à réfléchir à la manière de monter une collaboration entre deux mondes qui parlent de didactique mais pas de la même manière et communiquent peu.
L'objet de notre étude est une association proposant des activités collectives extra-scolaires sans hébergement pour les enfants et les adolescents en immersion linguistique, située à Toulouse (France). Le dispositif immersif y prend la forme d'activités récréatives visant l'adéquation avec l'intérêt des adolescents (Dewey, 2022) : jeux collectifs en intérieur et en extérieur, activités manuelles, ateliers cuisine, repas. L'objectif n'est pas d'y pratiquer les langues étrangères, mais de faire en langues étrangères. Les activités sont co-conçues et menées par des animateurs-trices allophones, inspiré-e-s de leur vécu dans leurs pays d'origine. Ces animateurs-trices allophones tiennent le rôle de tiers médiateurs (Vygostki, 2015) qui sont des tiers plus compétents dans leur langue, et des tiers à compétences différentes dans leur culture. Leur rôle est proche de celui des animateurs-rices socioculturels de droit français décrit par Francis Lebon (2009) : susciter des interactions, un engagement dans les activités, dans une relation d'autorité avec les adolescent-e-s basée sur l'affect et le respect plutôt que sur l'obéissance. Dans ce contexte récréatif, le contrat didactique est donc différent de celui de la classe de langue, en ce qu'il est détaché de tout rapport d'autorité hiérarchisant et de jugement évaluatif. Il se rapproche de la transposition didactique à l'œuvre dans la Théorie Anthropologique du Didactique (Chevallard, 2022). Ce qui est étudié dans ce contexte est différent de ce qui est étudié en classe, tout en étant superposable. Lors des tâches naturelles, nous repérons à la fois les savoirs scolaires étudiés pendant la transposition didactique, et les savoirs linguistiques non étudiés à l'école mais indispensables dans l'activité naturelle menée en immersion. Les points grammaticaux ou lexicaux non acquis dans la langue cible sont rectifiés au fil de l'activité naturelle sans interruption de celle-ci, comme ils le seraient au cours d'une activité de la vie quotidienne dans la langue transmise.
Dans la première phase de notre étude, de juillet à novembre 2021, nous avons cherché au travers de questionnaires qualitatifs, à mesurer les motivations en début et en fin de stage extra-scolaire immersif, ainsi que le lien entre ces motivations, le sentiment d'efficacité personnelle (Bandura, 2007), et les acquisitions langagières perçues. Au terme d'une semaine de stage en immersion linguistique, l'ensemble des neuf adolescent-e-s répondant-e-s déclaraient avoir le sentiment d'avoir progressé dans leurs acquisitions langagières, parce qu'ils-elles avaient apprécié l'expérience immersive, alors qu'au départ seulement la moitié se disait intrinsèquement motivés.
Les limites de notre étude sont celles de cette forme d'organisation des savoirs : l'immersion en milieu extra-scolaire reste une initiative marginale, et la représentativité des échantillons étudiés est faible. L'objectif final de nos travaux serait d'aboutir à des préconisations facilitant le déploiement de l'immersion sur ce terrain.
Références
Bandura, A. (2007). Auto-efficacité : Le sentiment d'efficacité personnelle (2e édition). de Boeck.
Beacco, J.-C. (2018). L'altérité en classe de langue : Pour une méthodologie éducative. Didier.
Borras, J., & Llanes, A. (2020). L2 reading and vocabulary development after a short Study Abroad experience. Vigo International Journal of Applied Linguistics, 17, 35‑55.
Chevallard, Y. (2022). L'analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique—Revue RDM. Recherches en didactique des mathématiques, 38(1), 1‑15.
Dewey, J. (2022). Démocratie et éducation—Suivi de Expérience et Éducation. Armand Colin.
Dalton-Puffer, C. (2007). Discourse in content and language integrated learning (CLIL) Classrooms. Amsterdam: John Benjamin.
Dörnyei, Z. (2005). The psychology of the language learner : Individual differences in second language acquisition. L. Erlbaum associates.
Krashen, S. D. & Terrell, T. D. (2000). The natural approach : Language acquisition in the classroom. Longman.
Lambert, W. (1984). In Studies on Immersion Education. A Collection for United States Educators. Publication Sales, California State Department of Education.
Lebon, F. (2009). Les animateurs socioculturels. la Découverte.
Roussel, S. & Aleman, J. (2020). Mélanges CRAPEL n° 32. 23.
Scubauer-Leoni, M.-L. (1996). Etude du contrat didactique pour des élèves en difficulté en mathématiques. In Raisky, C., & Caillot, M. (1996). Au-delà des didactiques, le didactique : Débats autour de concepts fédérateurs (p. 159-189). De Boeck Université.
Vygotski, L. S. (2011). Leçons de psychologie. La Dispute.
- Poster