Cette communication porte sur l'analyse didactique des pratiques d'enseignement et d'étude selon le sexe en contexte d'éducation prioritaire, en Education Physique et Sportive (EPS). Elle présente une partie des résultats d'une recherche doctorale (Debars, 2020) menée dans le cadre de l'action didactique conjointe (Sensevy et Mercier, 2007), qui permet de rendre compte des effets des modes d'organisation disciplinaires des savoirs sur la réduction ou le renforcement des inégalités scolaires selon le sexe (Amade-Escot, 2019 ; Verscheure, 2020 ; Verscheure et Debars, 2019).
Dans cette communication, nous pointerons plus particulièrement les régulations didactiques selon les filles et les garçons en handball scolaire. Nous nous interrogeons sur l'existence de différences dans la fréquence et le contenu des interventions verbales qui sont adressées aux filles et aux garçons par leur enseignant·e et plus particulièrement dans les régulations didactiques. Pour Boudard et Robin (2011, p.54), la notion de régulation didactique désigne « d'abord des processus cognitifs et métacognitifs caractérisant le processus d'apprentissage ». Pour catégoriser les interventions verbales, nous nous sommes appuyées et avons remanié la catégorisation de Marsenach et Mérand (1987, p. 53-77) : a) la gestion des contenus (GC), b) la gestion des groupes et des espaces (GGE), et enfin c) la gestion de l'indiscipline (GI). Les GC portent sur les interventions verbales portant sur le travail à effectuer ainsi que toutes les interventions centrées sur les enjeux de savoir. Les GC concernent, i) ce qui touche la définition du milieu didactique : consignes, buts, indications matérielles sur le fonctionnement, les rôles des élèves, etc. ii) pendant l'activité des élèves : régulations (traits pertinents de l'action, indications motrices, techniques, tactiques, intentions individuelles ou collectives) et tout ce qui a pour but de recentrer l'élève sur la tâche et de favoriser la persévérance et ses actions ; iii) pendant l'activité des élèves : régulations relatives aux attentes, aux critères de réussite, éléments d'institutionnalisation ou de bilan. Les GGE concernent des interventions verbales indépendamment du travail à effectuer, l'agencement matériel et humain (hors définition du milieu didactique) afin de créer un environnement favorable au travail. Les GI relèvent des interventions verbales relatives aux rappels à l'ordre, sanctions, comportements perturbateurs, commentaires de bonnes conduites, rappels de langage nécessaires au bon fonctionnement du travail.
Pour mener la comparaison, nous nous appuyons à la fois sur des indices quantitatifs et qualitatifs. La problématique de recherche concerne l'identification des traits saillants caractérisant les régulations didactiques de deux enseignant·es (une femme et un homme) et leurs variations selon les filles et les garçons (Debars, 2020). Dans cette communication, de perspective comparatiste, nous mettrons donc en avant la manière dont les deux enseignant·es dirigent l'étude des élèves lors de deux cycles de handball en collège d'éducation prioritaire, en nous intéressant plus particulièrement aux régulations didactiques qu'elle et il produisent au fil des interventions verbales, et parmi elles, plus particulièrement, celles qui relèvent des savoirs étudiés.
En ce qui concerne la méthodologie, nous mobilisons les outils de l'observation didactique (Leutenegger, 2009). Le corpus principal est composé de l'enregistrement vidéo et audio de toutes les séances. Le recueil concerne l'observation d'un cycle d'enseignement conduit par deux enseignant·es d'EPS, Carole et Pierre (pseudonymes), expérimenté·es et non expert·es en handball, dans deux collèges situés en éducation prioritaire, une classe de 4ème (13-14 ans) et de 3ème (14-15 ans). Les données vidéo et audio sont retranscrites, les verbatims, à l'aide du logiciel Transana, un logiciel pour l'analyse qualitative de vidéo, audio et des données de texte.
Les résultats mettent en évidence que les interventions verbales adressées par les enseignant·es aux élèves, filles et garçons de la classe marquent des différences minimes quant aux régulations relevant de la gestion des groupes et des espaces, la gestion de l'indiscipline et de délivrance des contenus. Cependant, même quand les tâches sont identiques pour l'ensemble des élèves, nos analyses montrent que les filles et les garçons ne travaillent pas réellement ensemble. Les résultats pointent aussi que les conditions de l'exercice professionnel sont en mesure d'expliquer les différences d'adressage dans les deux collèges. Cette interprétation est soutenue aussi par les données de contextes des deux établissements. Pour Pierre, un souci de contrôler les garçons en raison du climat du collège (indiscipline, non respects des règles) et pour Carole, l'éloignement des deux terrains et son choix de s'occuper des filles ne facilitent pas la gestion pédagogique des deux groupes. Cette enseignante organise sa classe en deux groupes de niveau. Le groupe 1, considéré par elle comme le groupe le plus « en difficulté », est composé uniquement de filles et le groupe 2, « plus débrouillé », composé que de garçons et ponctuellement de une, deux ou trois filles. Le choix de proposer des séances en non-mixité ou avec des groupes de niveau (quasiment de même sexe) sont aussi en mesure d'expliquer des différences dans les interventions verbales et les régulations didactiques. L'étude des régulations didactiques montre qu'elles sont traversées par les effets du système de genre. Ces résultats soulignent la nécessité de prendre davantage en compte des arrières plans liés aux assignations culturelles, sociales et de genre, à la fois dans la recherche et dans la formation des enseignantes et des enseignants. Ce qui nous permet de s'interroger sur la fonction des modes d'organisation disciplinaire des savoirs scolaires dans les conditions d'accès à des cultures partagées pour appréhender la complexité du monde.
Références bibliographiques :
Amade-Escot, C. (2019). Epistemic gender positioning: An analytical concept to (re)consider classroom practices within the French didactique research tradition. In A. Taylor, C. Amade-Escot & A. Abbas (ed.), Gender in Learning and Teaching: Feminist Dialogues Across International Boundaries (p. 24-38). London, Angleterre: Routledge, Francis and Taylor.
Boudard, J.M., & Robin, J.F. (2011). Décrire des pratiques de régulation didactique en éducation physique et sportive : la place des savoirs techniques. eJRIEPS, 24, 53-76.
Debars, C. (2020). Analyse didactique des pratiques d'enseignement et d'étude selon le Genre en contexte d'éducation prioritaire. Etudes de cas en éducation physique et sportive lors de deux cycles de handball en REP+. (Thèse de doctorat en Sciences de l'Education inédite). Université Toulouse Jean-Jaurès, Toulouse, France.
Leutenegger, F. (2009). Le temps d'instruire. Approche clinique et expérimentale du didactique ordinaire en mathématique. Berne, Suisse: Peter Lang, collection Exploration.
Marsenach, J. & Mérand, R. (1987). L'évaluation formative en EPS dans les collèges. Paris, France: INRP, collection Rapports de recherche.
Sensevy, G. & Mercier, A. (2007). Agir ensemble : Eléments de théorisation de l'action conjointe du professeur et des élèves. Rennes, France : PUR.
Verscheure, I. (2020). Genre, Didactique, et Conduite du Changement. Contribution d'un programme de recherche au comparatisme en didactique (Note de Synthèse pour l'Habilitation à Diriger des Recherches). Université de Toulouse Jean Jaurès.
Verscheure, I. & Debars, C. (2019). Student Gendered Learning in Physical Education : A Didactic Study at a French Multi-Ethnic Middle School in an Underprivileged Area. In C. A. Taylor, C. Amade-Escot & A. Abbas (ed.), Gender in Learning and Teaching : Feminist Dialogues across International Boundaries (p. 142-156). London: Routledge, Francis and Taylor.