Attestée par une certification, l'expertise des professeurs des écoles maîtres formateurs (PEMF) s'exerce à deux niveaux : En tant que formateurs, ils accompagnent les enseignants débutants dans leur entrée dans le métier en effectuant des visites de formation et ils peuvent également les former entre autres dans des cours d'analyse de pratique à l'INSPE[1] ; En tant que « maitres » cette expertise s'exprime dans une capacité à maîtriser le fonctionnement du système didactique et en assurer la finalité, soit l'apprentissage et le progrès de tous. A partir du système didactique originel de Chevallard (1992) qui met en relation l'élève, l'enseignant et le savoir, nous envisageons un système didactique augmenté du pôle de l'école et des programmes (Le Bas, 2007). La gestion de ce système par l'enseignant consiste à organiser de manière articulée trois rencontres qui prennent le statut de problèmes professionnels : 1) La rencontre de la logique des élèves (plutôt ce qu'ils sont) avec la logique de l'école, son cadre, ses enseignements et ses acteurs ; 2) La rencontre entre la logique de l'école/le prescrit institutionnel et la logique des nombreux discours scientifiques sur l'éducation, sur l'école, sur les savoirs qui y sont enseignés, sur les démarches pour les enseigner, etc. ; 3) La rencontre entre la logique des élèves (plutôt ce qu'ils savent) avec la logique des savoirs, leur inscription dans des champs de nature différente, les modes de pensée spécifiques et le rapport au monde qu'ils induisent. La première rencontre s'attache à régler dans sa mise en œuvre des problèmes d'engagement individuel des élèves dans les activités d'apprentissage et cela dans le cadre d'un enseignement collectif. La deuxième rencontre met en jeu des problèmes de transposition didactique, de planification des enseignements et de scénarisation de leurs contenus dans des dispositifs appropriés. Enfin la troisième rencontre gère des problèmes de régulations des apprentissages et conjointement des problèmes de régulations de la classe / du groupe classe / des individus. Dans leur expertise, on peut dire que les PEMF ont chacun à leur manière optimisé ces rencontres et qu'ils disposent d'un certain nombre de solutions techniques pour répondre aux problématiques qu'elles posent. On peut également penser que ces professionnels de par leur double fonction d'enseignant et de formateur ont construit les problèmes qu'ils traitent au quotidien (Fabre, 2006 - Lebouvier et al, 2019). Cette construction suppose en référence au cadre de la problématisation (Prevel, 2020, Ouitre et al, 2022) qu'ils soient capables d'expliciter voire de formaliser les raisons, souvent théoriques, qui fondent les solutions qu'ils mettent en œuvre et donc de mettre à jour les arrière-plans théoriques qui les organisent.
Cette expertise des PEMF s'inscrit également dans le cadre de la polyvalence caractéristique de l'enseignement dans le premier degré. Celle-ci peut générer un rapport ambigu aux disciplines scolaires (Baillat et Philippot, 2018), rapport potentiellement renouvelé avec la centration plus récentes sur les fondamentaux que sont le français, les mathématiques et le vivre ensemble.
Lorsque les PEMF participent à l'INSPE aux enseignements consacrés à l'analyse des pratiques, ils présentent des projets d'enseignement pour illustrer des démarches, des choix didactiques, etc. Nous constatons que les PEMF de notre étude proposent majoritairement des projets d'enseignement en mathématiques ou en français et laissent plutôt de côté les autres disciplines.
Notre étude s'inscrit dans l'axe 3 du colloque. La communication proposée et l'enquête dont elle rend compte souhaitent répondre aux questions suivantes : en quoi la discipline enseignée, ici les mathématiques et l'Éducation Physique et Sportive (EPS), influence-elle la gestion du système didactique par une PEMF exerçant à l'école maternelle ? L'expertise à gérer celui-ci diffère-t-elle d'une discipline à l'autre compte tenu de leur statut respectif ? En effet, les mathématiques renvoient à des savoirs scientifiques, majoritairement organisés autour de la construction du nombre en maternelle, et font partie des « fondamentaux » dans le curriculum officiel des élèves. L'EPS, elle, ne relève pas des fondamentaux. Elle vise entre autres des savoirs moteurs attachés à la pratique de différentes APSA dont la programmation est plus aléatoire.
Les données recueillies et analysées sont de nature différente. Elles concernent la mise en œuvre de deux projets d'enseignement, un en mathématiques et l'autre en EPS. Les préparations écrites des deux séquences d'enseignement constituent un premier type de données. Elles permettent d'accéder à tout ce qui est mobilisé dans la phase de conception effectuée en amont de l'action. Le film d'une séance dans chacune des séquences constitue un deuxième type de données. Ces films donnent accès à la manière dont une PEMF « fait la classe » et opérationnalise dans l'action les choix de planification effectués. Enfin, le troisième type de données est le résultat d'entretiens d'auto-confrontation à partir des deux films faits en classe. Ces entretiens nous permettrons d'identifier certains arrière-plans théoriques mobilisés par cette PEMF.
La méthodologie adoptée vise à identifier la manière dont cette enseignante experte gère le système didactique et prend alors en charge les problèmes professionnels inhérents à son « bon » fonctionnement dans les deux projets mis sous observation. Ce fonctionnement expert se traduit par la mise en œuvre d'un certain nombre de conditions que nous avons identifiées. Elles nous permettent de comparer l'expertise de cette PEMF en mathématiques et en EPS et de voir si des différences significatives se profilent dans l'enseignement de ces deux disciplines ou si finalement un certain nombre d'invariants organisent la PEMF dans l'appréhension de celles-ci et dans leur didactisation à des fins d'intervention.
Bibliographie
Baillat, G. & Philippot, T. (2018). Le professeur des écoles et la polyvalence. Administration & Éducation, 158, 65-70. https://doi.org/10.3917/admed.158.0065
Chevallard, Y. (1992). Concepts fondamentaux de la didactique : perspectives apportées par une approche anthropologique. Recherches En Didactique Des Mathématiques, 12(1), 73-112.
Fabre, M. (2006). Analyse de pratique et problématisation. Quelques remarques épistémologiques. Recherche et formation. 51, 133-144
Le Bas, A. (2007). Didactique professionnelle, formation des enseignants et problématisation. Recherches en éducation, 3, 109-124. https://doi.org/10.4000/ree.3826
Lebouvier B., Ouitre F., Prevel S. & Briaud P. (2019). Le guidage du processus de problématisation dans la conception de leçons chez des enseignants débutants. In I. Verschoore, M. Ducrey-Monnier et L. Pelissier (dir.), Contributions du comparatisme en didactique à l'intelligibilité́ des pratiques d'enseignement et de formation. Presses Universitaires du Midi.
Ouitre F., Lebouvier B., & Musquer A. (2022). Problématisation et analyse de pratique professionnelle didactique : quelle contribution spécifique pour la formation ? In S. Doussot, M. Hersant, Y. Lhoste, D. Orange-Ravachol (éd.), Le cadre de l'apprentissage par problématisation. PUR.
Prevel, S. (2020). Mises en langage en sports collectifs : quels effets sur les apprentissages à l'école maternelle ? Éducation & didactique, 14, 85-97. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.6798
[1] Institut Nationale Supérieur du Professorat et de l'Éducation.
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