Notre contribution s'intéresse aux effets d'une formation d'enseignants sur l'oral pour apprendre et enseigner en grammaire au cycle 3 (notion « Phrase simple vs phrase complexe »), oral indispensable à la construction des savoirs grammaticaux. L'enseignement de la grammaire à l'école primaire est souvent magistral (Gourdet, 2017), ce qui pose la question de l'appropriation des savoirs par les élèves et a pu conduire les programmes de cycle 3 de 2020, à préconiser la nécessité de construire un discours commun. En effet, l'oral des élèves est peu sollicité dans ces apprentissages mais pour autant, l'oral est le moyen de communication privilégié dans la classe. Or nombre d'élèves, comme le rappelle entre autres Bautier (2016), ne disposent pas des outils langagiers nécessaires à la construction des savoirs, outils étrangers à leur langage quotidien habituel, et sont de ce fait pénalisés si leurs enseignants ne veillent à ce qu'ils se les approprient. Cependant l'apprentissage de ces usages langagiers nouveaux ne peut faire l'objet d'un enseignement autonome et ne peut qu'être intégré dans l'activité disciplinaire.
Par conséquent, comment rendre conscients les enseignants de la nécessité de construire langagièrement les savoirs grammaticaux avec leurs élèves, par un travail de l'oral comme outil d'apprentissage dont les spécificités nécessitent d'être mieux identifiées ?
Notre travail s'inscrit dans la perspective historico-culturelle de Vygotski (1934/1997) sur l'apprentissage des outils culturels qui est tributaire d'un enseignement formel et nécessite de la médiation, notamment langagière de l'enseignant, le langage étant considéré comme un puissant outil psychologique. Nous nous inscrivons également dans un cadre dans lequel le langage est un outil sémiotique, dialogique aux usages contextualisés (Bakthine, 1984), chaque sphère d'activité produisant des discours spécifiques. Dans le domaine scolaire, Jaubert, Rebière et Bernié (2003) considèrent ainsi que chaque discipline convoque une manière d'agir, de dire et de penser bien spécifiques que les élèves doivent s'approprier dans le cadre de l'enseignement, la classe devenant ainsi une communauté discursive disciplinaire scolaire (CDDS).
Dans une perspective proche, Cogis (2005, p. 307) propose de construire des savoirs, ici grammaticaux, par l'intermédiaire de débats entre élèves qui poussent « les locuteurs à être le plus clairs, précis et pertinents possible par rapport au contexte et aux savoirs de la classe. ». En effet, elle insiste sur l'importance de la verbalisation des connaissances grammaticales et de la construction d'un discours commun dans lequel chacun doit s'assurer de quoi on parle et des termes spécifiques de la discipline. Mais, pour ce faire, Bautier souligne que « Cet oral-là suppose bien évidemment que les enseignants soient à même d'identifier les formes linguistiques et langagières qui sont nécessaires à ces transformations et ce travail [...]» (ibidem, 2016, p.128). D'où l'importance d'objectiver cet oral en formation afin de favoriser la conscience disciplinaire (Reuter, 2007) de ses spécificités par les enseignants, dans le cadre d'une conscience disciplinaire étendue aux pratiques langagières.
Pour rendre conscients les enseignants du rôle du langage comme outil pour apprendre la grammaire et de la nécessité d'instituer la classe en Communauté Discursive Grammaticale Scolaire, nous avons mis en place une recherche collaborative, favorisant un rapprochement entre chercheurs et praticiens, notamment à travers trois étapes essentielles : la cosituation, la coopération et la coproduction (Bednarz, 2013). Tous les participants s'y impliquent et adoptent une posture réflexive (Schön, 1983). Pour favoriser cette réflexivité, cette recherche s'organise autour de l'analyse de l'activité, car selon Clot & Faita (2000), « seuls les sujets acteurs peuvent transformer le travail au cours de l'analyse de l'activité ». Nous faisons l'hypothèse que l'analyse de leur activité, via les verbalisations successives lors des entretiens d'auto-confrontation (EAC) et de confrontations croisées (ECC), peut favoriser, dans le groupe d'enseignants, plusieurs mises à distances et une dynamique de reconfiguration de leur activité en lien avec les spécificités langagières de la grammaire.
La recherche collaborative, menée sur deux années consécutives, rassemble quatre enseignantes de cycle 3 qui ont choisi la notion de manière collégiale. Pour chacune d'elles, deux captations vidéo ont été réalisées S1 et S2. S1 est une séance d'enseignement usuel, en amont de la recherche. La séance 2, mise en œuvre de manière libre, fait suite aux EAC et ECC 1 ainsi qu'à une séance de régulation sur la notion, à la demande des enseignantes. Le corpus se compose donc des 8 transcriptions des séances, des 8 transcriptions des EAC, des deux transcriptions des ECC et de la transcription de la réunion de régulation.
Pour cette communication, nous choisissons de présenter la pratique d'une enseignante et son évolution en comparant S1 et S2. Les objets d'analyse retenus sont (1) les usages du langage mobilisés par les acteurs et leur pertinence pour l'activité grammaticale, (2) les dispositifs et la construction langagière de la notion grammaticale enfin (3) l'articulation du discours enseignant avec celui des élèves. Dans les analyses des EAC et ECC, nous cherchons des traces pouvant expliquer les changements dans les pratiques (modalisations énonciatives – doutes, certitude, mises à distance et évocations d'autres possibles).
La séance 2 montre des usages du langage diversifiés et plus spécifiques à la grammaire chez les élèves, et du côté de l'enseignante un savoir présenté aux élèves qui a évolué. L'analyse des entretiens permet de mettre en évidence la prise de conscience de l'enseignante de l'incidence de son discours sur celui de ses élèves et la mise en œuvre de plusieurs reconfigurations discursives de son activité.
Bibliographie :
Bakthine, M. (trad., fr, 1984). Esthétique de la création verbale. Paris : Gallimard.
Bautier, É. (2016). Et si l'oral pouvait permettre de réduire les inégalités ? Les dossiers des sciences de l'éducation [En ligne], 36 | mis en ligne le 15 juillet 2017, consulté le 13 janvier 2022. (pp. 109-129) https://doi.org/10.4000/dse.1397
Bednarz, N. (2013). Regarder ensemble autrement : ancrage et développement des recherches collaboratives en éducation au Québec. Dans N. Bednarz (dir.), Recherche collaborative et pratique enseignante. Regarder autrement (p. 13‑29). Paris, France : L'Harmattan.
Clot, Y.& Faïta D., (2000). Genres et styles en analyse du travail. Concepts et méthodes. Travailler, 4. (pp. 7-42).
Cogis, D. (2005). Pour enseigner et apprendre l'orthographe. Delagrave, Paris.
Gourdet, P. (2017). Les exercices à l'école élémentaire et l'apprentissage de la langue : quelle(s) réalité (s) ? Repères.
Jaubert, M., Rebière, M. & Bernié J-P. (2003). L'hypothèse « communauté discursive » : d'où vient-elle ? Où va-t-elle ? Les cahiers Théodile, 4. (pp. 51-80).
Reuter, Y. (2007). La conscience disciplinaire, présentation d'un concept. Éducation et didactique, vol 1-n°2, Varia. (pp. 55-71).
Schön, D.A. (1983). The reflective practitioner : How professionals think in action. New York, NY : Basic Books.
Vygotski L., (1934/1997). Pensée et langage (F. Sève, trad.). Paris : La Dispute, 3e éd.
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