Coanalyser la pratique constatée ordinaire d'enseignement de l'EPS de maîtres-ses d'EPS soutenant didactiquement les enseignant-e-s généralistes
Paola Rugo Graber  1, 2@  
1 : Rugo Graber paola
2 : Université de Genève

Cette communication présente la recherche que je viens de terminer dans le cadre de ma thèse en didactique de l'éducation physique et sportive (EPS). Ma problématique a concerné le partenariat entre un maître spécialiste (MS) en EPS et un maître généraliste (MG, chargé de l'ensemble des disciplines du curriculum scolaire) des classes primaires et préscolaires du canton de Fribourg (Suisse) autour des pratiques MS-MG partagées avant, pendant et après une leçon-modèle donnée par le MS appelée « collaboration pédagogique ». J'ai considéré ce partenariat comme un accompagnement de type compagnonnage et basé sur la théorie de l'apprentissage vicariant. En effet, il part du postulat qu'un MG se forme sur un contenu d'EPS enseigné par le MS qui se donne à « voir » en train de l'enseigner aux élèves. J'ai listé les quatre pôles et les éléments de contexte permettant de situer ma problématique : 

- pôle institutionnel : le MS se trouve en marge de l'Etat ; faible collaboration intercommunale ; absence de prescriptions pour guider le partenariat MS-MG ;

- pôle formation du MS : absence de formation initiale adéquate pour le MS ; absence de formation pour le MS sur l'approche par compétences mis en œuvre depuis l'introduction du plan d'études romand en Suisse en 2010 ; 

- pôle formation des MG : peu de crédits de formation en « didactique d'EPS » pour une partie des MG du cycle 2 ne prenant pas cette option durant leur formation initiale à la HEP Fribourg ; absence de FC pour ce type de MG ;

- pôle interinstitutionnel : faible circulation de savoirs entre recherche, formation et pratique professionnelle des MS, probablement par absence de chercheurs-formateurs en didactique de l'EPS au sein de la HEP et de l'Université de Fribourg.

L'objet de formation et de recherche s'est précisé dans la collaboration entre les quatre MS volontaires et partenaires de la recherche et moi-même en tant que chercheuse-formatrice (CF), dans le cadre d'un dispositif de formation continue (FC) comportant neuf séances étalées sur l'année 2018. En effet, ma recherche s'est inscrite dans un cadre théorique composite, en raison des modèles de recherche-action participative (Chevalier, Burkles & Bourassa, 2013) et de recherche collaborative (Desgagné, 1997) que j'ai privilégiés. L'objet de recherche est devenu un objet tridimensionnel que je compare à un arbre. Il prend sa racine dans la pratique constatée d'enseignement de l'EPS des quatre MS impliqués dans ce projet. Son tronc s'élève et se façonne dans le partenariat constatée MS-MG avant, pendant et après la leçon donnée par le MS en début et fin de FC. Le feuillage se compose des éléments de coanalyse réflexive MS-CF, durant la FC, de la pratique constatée ordinaire in situ du MS dans son double rôle (l'un envers les élèves et l'autre envers le MG). La canopée se constitue des transformations de pratique suite à tout ce processus, mais aussi des résistances, des parts d'ombre et de lumière. L'objet de recherche a englobé donc les trois systèmes didactiques : système didactique MS-élèves-savoir EPS lorsque le MS donne une leçon d'EPS à des élèves en présence du MG ; systèmes didactiques interconnectés MS-MG-savoir scolaire et/ou savoir enseigner lorsque le MS interagit avec le MG à des fins de formation de ce dernier ; le système métadidactique CF-MS-savoir scolaire (Brière & Simonet, 2021), savoir enseigner et savoir former lorsque j'interagis avec les MS à des fins de formation de ces derniers.

Mon dispositif de recherche est subdivisé en trois phases :

- phase ante-FC incluant trois étapes : entrée en matière ; mise en route du dispositif par des interviews ante-FC des participants (quatre MS et les responsables MS) ; analyse des interviews, 

- phase de FC incluant deux cycles : la pratique constatée ordinaire des quatre MS en début de FC ; la coanalyse de cette pratique entre MS et CF durant la FC ; la préparation et la mise en œuvre d'un nouveau projet d'enseignement de l'EPS de fin de FC pour chaque MS et d'un artefact cherchant à agir sur le partenariat MS-MG et à mieux suivre les apprentissages des élèves dès leur leçon « point de départ » ; cet artefact avait comme but de modifier l'activité des MS et des MG dans le sens d'une observation et évaluation dynamique du travail des élèves dès le début du cycle (incluant une évaluation diagnostique, formative et formatrice), de former le MG sur un contenu spécifique en EPS et de clarifier son rôle durant la leçon donnée par le MS. 

- phase post-FC : mon analyse des données ; communication des résultats aux participants du projet.

J'ai conçu un outil d'analyse a priori pour préparer, coanalyser un projet d'enseignement de l'EPS selon l'approche par compétences et pour former les MS à cette approche. Cet outil a aussi permis d'observer comment les MS ont réinvesti les connaissances abordées durant la FC dans leur projet de fin de FC. J'ai également analysé leurs leçons in situ au niveau des interactions entre les élèves et le MS autour du savoir à l'étude. Premièrement, j'ai mesuré le temps consacré à chaque partie de leçon et le temps réparti entre « temps d'enseignement » et « temps d'apprentisssage ». Deuxièmement, j'ai mobilisé les quatre descripteurs (définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser) et les trois genèses (méso-, topo-, chronogenèse) mis en lumière par les didacticiens comparatistes (Sensevy, 2007). En m'appuyant sur ces analyses, j'ai inféré des éléments de l'épistémologie pratique des MS avant, pendant et après la leçon. Mon analyse m'a conduit à qualifier leur enseignement d'enseignement transmissif et passif durant lequel l'action conjointe MS-élèves autour du savoir à l'étude s'est basé sur un dialogue minimal entre MS et élèves, le MS mettant plutôt les élèves en activité qu'en apprentissage. J'ai constaté le même phénomène au niveau du partenariat MS-MG conduisant le MS à garder une posture haute vis-à-vis du MG et un dialogue MS-MG presque absent durant la leçon et peu de temps accordé avant et après la leçon pour que le MG puisse comprendre son approche et mieux continuer le cycle de manière autonome. J'ai conclu que le partenariat MS-MG repose sur une modalité relationnelle « juxtaposition-substitution » (Devos-Prieur et Loubet-Gauthier, 2002), qui peut se résumer par un MG au service du MS pour gérer un atelier ou exécuter ses demandes selon ses besoins. Par conséquent, ce partenariat est plutôt axé sur les élèves et peu axé pour former le MG. Par contre, la FC est vécue comme un espace de dialogue entre MS et entre MS et CF qui leur a permis de transformer leur pratique. Pour analyser les séances de FC, j'ai observé comment la parole est répartie entre MS et moi-même afin d'identifier l'implication du MS. J'ai également observé sa réaction lors de la coanalyse de sa leçon afin de mesurer l'impact qu'elle peut avoir sur la transformation de sa pratique. Je conclus plus le MS est ouvert au changement en posant des questions durant la FC, en dévoilant ses difficultés aux yeux de collègues bienveillants et exerçant un esprit critique, plus cela a représenté des éléments prometteurs pour transformer sa pratique. Au terme de la FC, les MS ont attribué leur changement de pratique en priorité aux échanges de pratique et d'idées vécues durant la FC et au travail personnel en dehors de la FC. Les théories dispensées durant la FC, la vidéoformation et la lecture d'articles scientifiques sont considérées par les MS comme des facteurs moins importants. Finalement, j'ai comparé l'évolution des compétences autoévaluées par les MS en début et en fin de FC (Ducrey & Jendoubi, 2016) et la transformation de leur pratique constatée en l'observant à travers sept dimensions : institutionnelle, fonctionnelle, épistémique, théorique, expérientielle, socio-professionnelle, contextuelle. 

Bibliographie :

Brière, F., & Simonet, P. (2021). Développement professionnel et co-construction de savoirs de métier d'étudiants stagiaires dans l'activité conjointe avec le formateur-chercheur: analyses didactique et clinique de l'activité d'auto-confrontation croisée. Éducation et didactique, (15-1), 49-76.

Chevalier, J. M., Buckles, D. J., & Bourassa, M. (2013). Guide de la recherche-action, la planification et l'évaluation participatives. SAS2 Dialogue, Ottawa, Canada.

Desgagné, S. (1997). Le concept de recherche collaborative: l'idée d'un rapprochement entre chercheurs universitaires et praticiens enseignants. Revue des sciences de l'éducation, 23(2), 371–393.

Devos-Prieur, O., & Loubet-Gauthier, E. (2002). Incidence des modes de partenariat à l'école élémentaire sur la polyvalence des maîtres et sur les représentations des élèves. Recherche & formation, 41(1), 153–170.

Ducrey, F. & Jendoubi, V. (2016). La collaboration dans le cadre scolaire et l'attitude des enseignants face à l'inclusion scolaire: résultats d'une enquête auprès des enseignants genevois. SRED.

Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l'action du professeur. In G. Sensevy & A. Mercier (dir.), Agir ensemble : l'action didactique conjointe du professeur et des élèves. Rennes, FR : PUR.


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