L'étude des changements de contenus d'éducation et de formation est régulièrement abordée en sciences de l'éducation et de la formation (Barrère et al, 2014). Ces études visent à évaluer les effets des pratiques d'enseignement, d'éducation et ont une fonction d'aide à la conception des réformes. Dans les recherches didactiques l'étude des pratiques effectives a longtemps été un domaine privilégié afin de constituer une base de données de mise à l'épreuve des cadres théoriques en construction. Ceci a laissé peu de place pour une étude des changements incessants dans le champ de l'éducation et celui de l'école en particulier. Visant à nous distinguer d'une approche historique nous interrogeons ce qu'une approche didactique des changements de contenus d'éducation permet de révéler du sens de ces changements et de leur implication sur les sujets didactiques. Quelques rares travaux existent (D'Enfert & Lebeaume, 2015). Toutefois, devant les difficultés de travailler sur des traces, ces recherches analysent essentiellement les évolutions des prescriptions dans une conception descendante de la transposition didactique empruntée à la Théorie Anthropologique du Didactique (Chevallard, 1985/1999) conception largement discutée et soumise à controverse dans le champ des didactiques.
Nous nous proposons ici de soumettre à l'étude le concept d'épistémologie pratique (Sensevy, 2007 ; Amade-Escot 2014, 2019) comme mode d'approche des changements de contenu. Nous faisons l'hypothèse que cette notion est en mesure de rendre compte des changements au plus près des pratiques réelles, d'en saisir les enjeux et les effets. En définissant l'épistémologie pratique comme les savoirs en arrière-plan de l'action enseignante, savoirs qui se réfèrent au savoir enseigné en même temps qu'au savoir enseigner, leur identification permet, nous semble-t-il, de saisir l'impact de l'introduction des prescriptions ministérielles, recommandées en formation initiale, sur fond des traditions appartenant au registre de la culture professionnelle de métier.
Nous discutons cette hypothèse au cours de cette communication par l'analyse d'une séance d'EPS du champ d'apprentissage « agir s'exprimer comprendre à travers l'activité physique » à l'école maternelle. L'école maternelle a fait l'objet de plusieurs transformations conséquentes ces trente dernières années. En 2015 une profonde modification des textes et programmes est promulguée par le ministère de l'Education nationale. Comment ceux-ci sont intégrés dans les pratiques effectives ? Quelles contraintes et difficultés créent-ils pour les enseignants ? Nous analysons une séance d'activité physique suivie d'une séance de mise en langage conformément aux nouvelles prescriptions institutionnelles. Ces séances sont conduites par une enseignante débutante dans le cadre d'un accompagnement par un conseiller pédagogique dans une formation en alternance. Elles sont appréhendées par une approche compréhensive fondée sur l'analyse ascendante de la transposition didactique. Les deux séances filmées ont donné lieu à une transcription de l'ensemble des interactions verbales maître élèves en même temps qu'une description des modes de réalisation des tâches motrices par les élèves.
L'analyse de ces données à la lumière de l'épistémologie pratique du professeur et des élèves permet de saisir dans quelle mesure les actions des uns interagissent avec les actions des autres. Elle permet de dégager les modalités d'activité motrice des élèves, leurs échecs dans la réalisation des tâches. Ces dernières sont sources des régulations didactiques de l'enseignante. Elles révèlent les traits pertinents que retient l'enseignante dans la lecture de ces actions. La mise en relation de ces données avec la phase de mise en langage dégage une compréhension certaine des gestes didactiques pour la conduite du moment de mise en langage. Toutefois en l'absence d'un rapport au sens, à la signification et l'enjeu de la pratique physique sportive comme pratique historiquement et culturellement située le contrat didactique dans la phase de verbalisation dérive sous une forme de cours dialogué qui, conduit sous la seule initiative de l'enseignante reste très formel. Cette étude souligne les déterminants qui pèsent sur le processus d'enseignement-apprentissage en même temps que les leviers pour une modification et une transformation des pratiques initiales. Elle montre l'intérêt que constitue l'épistémologie pratique pour saisir les évolutions de contenus d'éducation et de formation. Ce concept représente un outil à disposition des didactiques dans une perspective comparatiste que nous soumettons à discussion.
Bibliographie :
Amade-Escot, C. (2014). De la nécessité d'une observation didactique pour accéder à l'épistémologie pratique des professeurs. Revue de recherches en éducation, 19, 18-29.
Amade-Escot, C. (2019). Epistémologies pratiques et action didactique conjointe du professeur et des élèves. Education & Didactique, 13, 1, 109-114.
Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée Sauvage.
Chevallard, Y. (1999). L'analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique. Recherches en Didactique des Mathématiques, vol 19/2, 221-266.
Barrère, A., Klepal, I., Llobet, A., Zoughebi, H. & Sawicki, F. (2014). Le changement au quotidien. Table ronde. Administration et Éducation, 3, 143, 63-75.
D'Enfert, R. & Lebeaume, J. (dir) (2015). Réformer les disciplines, Les savoirs scolaires à l'épreuve de la modernité 1945-1985. Rennes : PUR.
Sensevy, G. & Mercier, A. (2007). Agir ensemble. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves. Rennes : P. U. R.
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